L’Odyssée. Chant 14. (Voilà deux semaines que nous sommes dans ce voyage, confinés dans ces pages)
(Salutations à ceux qui suivent encore)
Chant 14. Et nous sommes bien revenus dans le monde réel. La transition (chant 13) a opéré. Nous avons quitté le surnaturel des chants qui contaient les déboires maritimes d’Ulysse et sa visite aux enfers. Ulysse est arrivé en Ithaque. Rien de plus réel que le monde réel. Fini la magie, les sorcelleries, le surnaturel. Ulysse est vêtu de loques, et il va rendre visite à Eumée, son porcher. Terre à terre.
Eumée le plus fidèle de ses sujets. Un ancien esclave affranchi par Ulysse. Eumée ne reconnaît pas Ulysse. Ulysse n’essaye pas de se faire reconnaître.
Mais l’accueil est parfait. Je vous ai dit l’importance de l’accueil chez ces grecs. Eumée est le plus respectueux qu’on puisse imaginer, sur ce thème. Tous les mendiants sont envoyés par Zeus. Et Ulysse a l’air du plus parfait mendiant.
Ils mangeront donc. Puis Ulysse devra conter son histoire. Il mentira. Presque de bout en bout. Mais enfin, l’histoire devait avoir quelques relents réalistes pour l’oreille grecque qui écoutait Homère, parce qu’Eumée veut bien croire quelques passages incroyables (pour nous qui connaissons son passage aux enfers, chez le Cyclope, en Charybde et Scylla…). Mais quand Ulysse dit qu’Ulysse est vivant, là, Eumée ne peut y croire. peu importe, il accueille. Et il n’y a pas eu de meilleur accueil que celui d’Eumée depuis le début de l’Odyssée… Plus qu’une tradition. Un viatique.
Je n’entrerai pas dans le détail du chant. Pas plus que dans les mille notes que j’ai prises. Le chant est surprenant.
Alors juste ceci :
« Au dedans du rempart,
douze écuries à cochons, pour le sommeil des truies
s’alignaient de porte à porte :
sur le sol de chacune,
couchaient cinquante truies qu’on enfermait le soir ;
chacune avait mis bas.
Mais les mâles restaient dehors pour la nuit ;
leur nombre était bien moindre,
décimés qu’ils étaient pour fournir la table des divins prétendants (ndlr : prétendants de Pénélope),
car Eumée, chaque jour, leur devait le plus gras de ses cochons à lard :
aussi n’en restait-il que trois cent soixante. »
L’on apprend un peu plus loin que les porcelets vont glâner au dehors toute la journée, et qu’ils ne rentrent pour la tétée qu’à la nuit tombée. Cela montre l’opulence d’Ulysse et de son pays. Opulence qui sera renforcée plus tard par la description des troupeaux de vaches, de moutons et de chèvres… Gigantesques.
Et me voilà plongé dans mes pensées.
12 fois 50, font 600 truies. Autant de porcelets au moins. Et 360 porcs gras…
Et l’on me dit que c’est notre XXème siècle qui invente l’élevage industriel ? Et l’on me dit qu’il faut revenir au XIXème respectueux de la tradition et des ancêtres ? Est-ce que ce mode d’élevage pose un problème à Eumée, à Ulysse, à quiconque à cette époque. On pourra rétorquer qu’il s’agit d’un récit, une fable ancienne, pour esprit crédule. Je crois au contraire qu’il s’agit de transmettre les façons de cet âge en récits qui mêlent pratiques et lois…
Et au fond, à bien y réfléchir, est-ce l’industrie qui pose le premier problème ? Ou les villes qui la commandent ?
Parce qu’au fond, Troie, la plus fastueuses des fastueuses cités, Troie a été détruite, et il leur a bien fallu vivre autrement, à ces troyens. Pourquoi fallait-il détruire Troie ? Pensez qu’une ville de millions d’habitants a besoin de millions d’œufs chaque jour. Ce qui veut dire « millions de poules ». Où sont ces poules ? Il faudra bien un jour que le citoyen écolo des villes d’aujourd’hui se pose cette question. Plutôt qu’aveuglément vivre en ville en désirant un œuf bio. Peut-on produire tant d’œufs pour une ville sans que jamais il n’y ait industrie ? Où mettre les millions de poules qu’on ne peut mettre en ville ? Comment transporter, en combien de convoi, les millions d’œufs à acheminer ?
Décidément, les récits des anciens sont bien balots et nous font nous poser de bien drôles de questions… Pourquoi détruire Troie ? Et comment ensuite rentrer chez soi ?
Terre à terre, le chant 14

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