Un court-métrage écrit et réalisé par Dominique Wittorski.

Un kosovar en fuite, une douane dans un aéroport, un frigo de voyage.
Le frigo contient les restes de la chèvre que le kosovar a vendue pour payer le billet d'avion… et sous les restes, un coeur humain !
D'où vient le cœur, à qui va-t-il et comment passer la frontière ?

Équipe artistique

Un film écrit et réalisé par Dominique Wittorski

Avec :
Redjep Mitrovitsa (Ilié)
Christian Hecq et Bernard Yerlès (les douaniers)
Philippe Gaulé et Pierre Remund (les policiers)
Jean-Michel Marnet (le surveillant)
Caroline Guth et Isabelle Provendier (les filles)

L'équipe :
Productrice : Isabelle Mathy
Directeur photo : Philippe Roussilhe
Ingénieur du son : Olivier Hespel
Décors : André Fonsny
Costumes : Pascale Vervloet
Chef monteuse : France Duez
Musique : Joël Ruffier des Aimes
Mixage : Matthieu Cox
1er assistant réalisation : Max Belmessieri

Production :
Pétrouchka Films   (Paris) - Polichinelle Productions (Bruxelles) - CRRAV (Lille)

Avec le soutien :
du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Communauté française de Belgique et des télédistributeurs wallons  --
de la Région Nord - Pas de Calais   --
de  l'ADAMI

Informations techniques :
Support : 35 mm   --  Format : 1,85  -- Métrage : 501 m  --  Son : DOLBY SR
Durée : 17 minutes   ---   Couleurs
© 2001

Palmarès

Prix du Public - Festival européen du film court de Brest (France) 2001.
Prix du Public - Festival International d’Amiens (France) 2001.
Prix du jury des femmes de la maison d’arrêt d’Amiens - Festival International d’Amiens (France) 2001.
Grand prix du Jury (Gragnote d’Or) - Festival d’Argelès sur Mer (France) 2002.
Festival International du Film Francophone de Namur (Belgique) 2001.
Festival du Cinéma International en Abitibi (Québec) 2001.
Festival Média 10/10 (Belgique) 2001.
Festival de Charleroi (Belgique) 2002
Festival de Mamers (France) 2002
Festival de Vaux-en-Velin (France) 2002
Festival de Belhorizonte (Brésil) 2002.
“ Le court en dit long ” Paris 2002
Festival international itinérant d’Ankara (Turquie) 2002
Le festival des festivals (Paris) 2002
Festival International d’Aubagne (France) 2002
Prades (France) 2002
Festival de Nevers (France) 2002
Festival de Bucarest (Roumanie) 2002
Festival de Ouidah (Bénin) 2003.

Télevision:
RTBF (Belgique)
Canal+ Belgique
ARTV - radio-Canada (Québec)

Sortie en salle 2003-2004

Notes du réalisateur

La rubrique des faits divers est régulièrement secouée d'anecdotes plus sordides les unes que les autres, détaillant comment des enfants disparaissent au Brésil, comment on les retrouverait sous forme de pièces détachées en Italie, racontant qu'on aveugle des enfants des rues sud-américains pour ensuite faire commerce de leurs cornées...

Autant ces histoires sont affreuses, autant la réalité du manque d'organes pour occidentaux argentés ne parvient pas à considérer ces faits autrement que comme sous-questions (ignobles, certes, et auxquelles il faut répondre) à la question principale : celle de la vie. Personne n'accepte de voir les premiers faits comme conséquence de la quête de bonne santé.

La fragilité des victimes, leur dénuement, leur détresse, tout ajoute à notre commisération pour eux, à notre pitié; mais, curieusement, cette pitié est sans effet sur notre soif de santé à tout prix. Nous regardons ces victimes avec un vrai écoeurement pour les actes barbares qu'ils ont subis, nous sommes sincèrement outrés, meurtris... mais cela ne remet pas en cause le principe de "récupération" d'organes.

Bizarre, non ?

Notre propos est de faire entendre que non, justement, ça n'est pas bizarre. Que l'un est conséquence de l'autre, et qu'aujourd'hui, un silence assourdissant entoure cette question de société.

Autant on peut trouver odieux le commerce de cornées et ses aléas, autant chacun préfère ignorer d'où vient la cornée qu'on lui greffe, à partir du moment où il est sûr de sa qualité médicale...

Toute ceci pourrait se développer dans un film à thèse. Soporifique. "Bosna" est une comédie. Pour démonstration, nous inversons le propos.

Imaginons un trafiquant d'organes. Ce n'est pas un type qui reçoit forcément notre sympathie. Rendons-le assassin de dictateur, plutôt que d'enfants sans défense. Son capital sympathie augmente aussitôt. Prélevons un organe sur le dictateur ainsi assassiné, et demandons "qui en veut ?"

Autant recevoir la cornée d'un innocent ne pose de problème à personne, autant le coeur d'un dictateur célèbre et détesté risque de ne pas trouver preneur...

Critiques

"D'emblée, un titre accrocheur. Mais surtout, après vision, une délicate nouvelle cinématographique qui flirte joliment avec une certaine réalité politique contemporaine tout en restant à sa juste place de fiction cinématographique.

Alimentée d'éléments scientifiques en voix off, l'histoire accroche par sa maîtrise de l'image et des situations filmées ainsi que du climax politico-culturel évoqué. Mise en place aussi simple qu'efficace, utilisation serrée du temps, ellipses non équivoques, maîtrise de l'écriture et de la réalisation comme de la direction d'acteurs (cet impayable berger caucasien et son frigo-box rempli de viande de chèvre) : ces quelques traits axiaux du film suffisent à Dominique Wittorski à nous faire voyager très agréablement sur Bosna Airlines, en développant un sujet simple, mais semé de chausse-trapes (lieux communs, sensiblerie bio-éthique, etc.), telles que le traffic d'organes entre d'éventuels donneurs de l'Est et de riches et puissants demandeurs de l'Ouest, en le cas, en France. L'intrigue se déroule sans heurts ni digressions, sans pour autant jamais manquer d'humour, et de plus se solde par une fin superbe : on en redemanderait !
Mission réussie. Sélectionnées dans la compétition officielle, ces 17 minutes d'air frais et très bien conditionnées ont rencontré l'attention d'un public amateur, certes, mais parfois trop facilement blasé (...).
Bosna Airlines est le deuxième scénario écrit et réalisé par Dominique Wittorski qui a bénéficié d'aides belges et françaises pour boucler son film. Certaines confidences nous ont appris qu'un scénario de long métrage était déjà prêt. Espérons que la plus large diffusion de Bosna Airlines facilitera le montage financier de ce projet dont nous ne manquerons pas de vous tenir informés."

Philippe Deprez
in Cinergie n°55 (novembre 2001)

"Comment ne pas prendre en pitié ce petit refugié Kosovar qui arrive en France avec une valise pour tout bagage ? A l'intérieur, les restes de la chèvre qu'il a abattue pour financer son voyage : rôtis, côtes, abats... Le réalisateur, Dominique Wittorski, maîtrise un scénario casse-gueule avec virtuosité, dirige ses comédiens avec maestria. "

Josiane Guéguen
in Ouest France (14/11/2001)

Une spectatrice s'exprime

"Une comédie percutante, qui mélange avec humour une actualité politique récente - le conflit dans les Balkans- et un sujet de société - le trafic d'organes. Un scénario insolite, délirant, peut-être pas tellement éloigné d'une réalité imaginable, mais surtout qui force à la réflexion sur un sujet qui ne souffre, aujourd'hui, chez nous, aucun débat. "

Le tournage

Le film

Le scénario

0. Générique -- CARTONS NOIRS

Premier carton noir
Bosna Airlines
Vol 8487 en provenance de Sarajevo via Belgrade

Autres cartons noirs avec réalisateur, acteurs et techniciens...
Durant ce générique, on entend une voix très pédagogique, calme, télévisuelle qui donne les définitions qui suivent.

VOIX TRES CLINIQUE
Le sang est une suspension de cellules, dits globules, dans un liquide complexe, le plasma.
Les globules rouges humains contiennent les agglutinogènes A ou B, ou les deux à la fois, ou aucun d'entre eux. Les agglutinogènes définissent quatre groupes sanguins : le A, le B, le AB et le O. Chaque sang possède dans son plasma un agglutinine naturelle capable d'agglutiner des globules porteurs des agglutinogènes que ce sang ne possède pas. Ce qui provoque les accidents lors de transfusion où des sangs de groupes différents se mêlent.
Gimmicks de guitare blues.

1a. INT Aéroport -- Hall des arrivées -- JOUR

Brouhaha permanent. Ambiance d'aéroport international.
Dans le hall des arrivées, deux hommes vêtus de costumes gris surveillent les sorties. Le premier homme prépare un carton d'accueil sur lequel il écrit : "ILIÉ".

1b. INT Aéroport -- Tapis roulant bagages -- JOUR

Des voyageurs sont rassemblés autour du large tapis roulant qui amène à la surface les bagages que régurgite lentement le sous-sol.

Une voix d'hôtesse annonce par haut-parleurs les arrivées successives des avions et leur provenance.
Dans la liste des avions à l'arrivée, on entend :

VOIX HOTESSE AEROPORT
Le vol 8487 en provenance de Sarajevo, via Belgrade, arrivée prévue à 11h45 a atterri.
Les sacs et valises les plus divers remontent. Des quidams s'en emparent. Lorsque se présente à nous un FRIGO-BOX (frigo portable de voyage) rouge, de taille respectable, hermétiquement fermé par du gros scotch. Sur la poignée du frigo portable, l'on découvre la vignette autocollante de l'aéroport de départ :

"Belgrade - YOUGOSLAVIA"
Un homme d'une quarantaine d'années, ILIÉ, s'en saisit. Cet homme n'est pas rasé, porte un vieux pull et un pantalon assez élimé. Des lacets cassés et renoués de multiples fois ferment laborieusement ses chaussures. Les ongles de ses mains sont terreux.

VOIX HOTESSE AEROPORT
Les passagers à destination de New-York, embarquement immédiat porte F. Les passagers hors espace Schengen sont priés de se présenter aux douanes...
Après avoir vérifié méticuleusement l'étanchéité des fermetures de son frigo, Ilié s'éloigne, n'emportant aucun autre bagage. Il jette autour de lui quelques regards paranoïaques.

2. INT Aéroport -- local de surveillance vidéo -- JOUR

Local des équipes de sécurité de l'aéroport, plongé dans une pénombre nécessaire aux moniteurs vidéos.
On entend une guitare électrique qui distille des gimmicks blues.
La pièce est presque complètement occupée par une console de commande et un mur vidéo. Mosaïque d'images : douane, bagages, embarquement, escalators, pistes d'envol, guichets d'accueil... Images multiples prises par des caméras éparpillées dans tout l'aéroport. Equipement ultra-moderne.

Deux pieds battent la mesure de part et d’autre du "joystick" qui permet de manipuler les caméras.

L'un des pieds ôte la chaussure de l'autre, découvrant ainsi une chaussette trouée au gros doigt de pied. Le doigt de pied, libéré, se contorsionne pour manipuler le joystick. Changement d'images : l'image centrale du mur vidéo nous montre Ilié, le frigo à la main. Zoom avant de la caméra vidéo qui fait un gros plan sur le frigo-box. Ilié pousse la porte des toilettes "hommes".

Les gimmicks de la guitare adoptent le rythme de la marche d'Ilié de façon un peu ironique.

3. INT Aéroport -- Toilettes "hommes" -- JOUR

Ilié s'enferme dans un w-c. Il pose le frigo sur la cuvette. Il s'agenouille pour passer la tête sous les parois afin de vérifier qu'il n'a pas de voisins. Il monte sur la cuvette pour tenter de voir si les caméras peuvent être indiscrètes.

4. INT Aéroport -- local de surveillance vidéo -- JOUR

Gimmicks guitare... Sur le mur vidéo, on aperçoit la tête d'Ilié qui dépasse des cloisons des waters. Image clownesque. Musique en rapport.

Le pied manipule le joystick du bout des doigts : gros plan sur le visage inquiet d'Ilié. Manipulations diverses. Plusieurs écrans se remplissent d'images des portes des waters. L'intérieur du w-c occupé par Ilié est invisible, et celui-ci y disparaît. Stridence électrique à la guitare.

5. INT Aéroport -- Toilettes "hommes" -- JOUR

Ilié se frotte le visage avec les mains, dans un geste inquiet. Il jure entre ses dents, et commence à déballer très rapidement son frigo. Lorsqu'il ôte le couvercle, on découvre des morceaux de viande crue. Il retire les différents morceaux sanguinolents qu'il dépose sans façon sur la planche de la cuvette.

Lorsqu'il a tout vidé, il arrache quelques coupons de papier hygiénique et essuie méticuleusement le fond. Puis sortant un petit couteau, il décoince un double fond et nous découvrons un petit réceptacle contenant de la glace qui protège un coeur humain enveloppé dans un plastique chirurgical stérile. A côté il y a plusieurs pochettes de sang sur lesquelles on peut distinctement lire le groupe sanguin (O+).

Ilié sort un petit thermomètre placé à côté du coeur et vérifie la température. Rassuré, il referme le tout soigneusement, puis réentasse la viande et referme son frigo. Il essuie d'un geste rapide de la main les éclaboussures de sang causée par la viande, empoigne son frigo et ouvre la porte du coude. La main ensanglantée en l'air, il se retrouve face à un HOMME, un journal à la main, qui s'apprêtait à entrer dans le water voisin. Celui-ci regarde la main ensanglantée et s'effraie.

L'HOMME AU JOURNAL
Vous avez un problème ?

ILIE
(sur le ton d'une confidence, avec un fort accent)
J'arrivé de Kosovo.
Ilié tourne aussitôt les talons. L'homme, pris d'inquiétude, ouvre son journal et regarde la photo de bombardement imprimée à la Une. Il jette un regard plein de pitié à Ilié.

6. INT Aéroport -- local de surveillance vidéo -- JOUR

Sur les vidéos, Ilié qui se lave les mains, observé sous toutes les coutures.

La musique semble toujours commenter les images avec ironie.

Nous découvrons, en nous écartant du mur vidéo, le SURVEILLANT, les pieds sur la console de contrôle, la casquette de garde sur la nuque, qui gratte une guitare électrique qu'il a branché sur la console. Lorsqu'un gros plan des mains fait voir au surveillant le sang des mains d'Ilié qui s'écoule dans les lavabos, il fixe ses caméras sur le frigo et empoigne son téléphone.

7. INT Aéroport -- douane -- JOUR

Guichets des douanes. Le téléphone sonne.

Son ambiance aéroport. Et reprise des gimmicks, plus angoissant, suspens...

File de gens qui passent chez les douaniers. Au milieu de cette file, Ilié pousse son frigo du pied, pour suivre l'avancement, le passeport à la main. Il est fébrile, nerveux.

Les douaniers font ouvrir certaines valises, quelques personnes passent sans questions... Le téléphone continue de sonner. Énervement de la guitare.

Ilié aperçoit la caméra vidéo pointée sur lui. Il est mal à l’aise.

L'un des douaniers (Le PREMIER) décroche. Conversation inaudible pour Ilié, qui remarque que le fonctionnaire ausculte gravement la file. Le regard du douanier s’arrête sur lui, le détaille et s'assombrit encore. Le fonctionnaire se penche pour tenter de voir les mains du Yougoslave puis raccroche et fait passer les personnes qui précèdent Ilié sans le quitter des yeux.

Ilié arrive à sa hauteur et lui tend son passeport. Le douanier le scrute attentivement puis examine le frigo.

LE PREMIER DOUANIER
Qu'est-ce que vous transportez là-dedans ?

ILIE
(anxieux)
C'est tout ma richesse... chèvre.

LE PREMIER DOUANIER
Chèvre ?

ILIE
Oui. Jé devoir tuer dernier chèvre, pour payer frais voyage. Vendre viande contre billet avion. C'est restes chèvre. Tout ma richesse. Regardez. Gigot, côtes...

Il présente le contenu au douanier.

LE PREMIER DOUANIER
Autorisations vétérinaires ?

ILIE
(assénant une évidence)
Jé quitté Kosovo.

LE PREMIER DOUANIER
D'autres bagages ?

ILIE
(avec insistance)
Jé quitté Kosovo.

LE PREMIER DOUANIER
Un instant.

Le douanier s'éloigne et entre dans le local de repos (mini cuisine) du personnel. Il y retrouve le CHEF, qui se prépare une omelette. Ilié peut observer la situation d'où il est grâce à une petite fenêtre qui donne dans la pièce, mais nous n'entendons, pas plus que lui, la conversation, qui a l'air animée, entre les deux hommes.

Le chef se dirige vers la porte, l'entrouvre et passe la tête pour observer silencieusement Ilié, tout en continuant de battre ses oeufs. Regards aux mains. Ilié les glisse dans ses poches.

LE CHEF DOUANIER
Kosovo ?

ILIE
Papiers corrects. Tampons. Visa tout correct, non ?

LE CHEF DOUANIER
Oui, correct. Mais la viande ?

ILIE
(avec un sourire captieux)
Pour manger encore quelques jours. Jé quitté tout. Interdit prendre animal vivante dans avion. Jé prendre frigo et morceaux.
Le chef referme la porte.

8. INT Aéroport -- local de surveillance vidéo -- JOUR

Le surveillant scrute Ilié, le nez collé aux écrans, lorsqu'une très BELLE FEMME passe dans le champ des caméras de surveillance, juste derrière Ilié. Abandonnant aussitôt le yougoslave, le surveillant branche ses caméras sur celle-ci, réempoignant sa guitare, il joue "Carmen" de Bizet. Il la suit au travers de l’aéroport.

Une VIEILLE DAME se fait tirer son sac en arrière plan. Fasciné par la démarche ondoyante de la femme, le surveillant ne remarque rien.

La belle jeune femme arrive à la hauteur d'un homme, qui l'enlace. Ils s'embrassent fougueusement.

Derrière eux, on voit dans les vidéos de surveillance les deux hommes en gris qui attendent toujours.

Désappointé par le baiser, le surveillant coupe ses moniteurs, en jurant.

Lorsqu'il repointe ses caméras sur la file ou patientait Ilié, celui-ci n'y est plus. Le surveillant jure. Il s'affole et teste tous les coins de l'aéroport mais ne trouve personne.

9. INT Aéroport -- salle repos/cuisine -- JOUR

Nous rejoignons les douaniers. Le chef verse ses oeufs battus dans une poêle qu'il présente à la flamme de la cuisinière.

LE CHEF DOUANIER
(il rudoie le douanier)
Ça, "un paysan" !!! Un paysan qui parle français tout de même...
(exprimant un doute ironique)
Un paysan du Kosovo qui parle français ???

LE PREMIER DOUANIER
(pédagogue)
La francophonie a dominé les grandes cours européennes jusqu'à ce siècle. Catherine de Russie parlait le français... Voltaire était...

LE CHEF DOUANIER
(malveillant)
Les grandes cours européennes ? D'où tu sors ? C'est un paysan du Kosovo !!!

LE PREMIER DOUANIER
(un brin énervé)
L'étranger n'est pas un attardé, décalé, non-éduqué, inculte, arriéré et sous-développé... seulement parce que ses codes vestimentaires diffèrent des nôtres et que sa tête...
Le téléphone sonne. Le chef douanier décroche.

VOIX DU SURVEILLANT
Le quidam a disparu. Je donne l'alerte ?
A ce moment, Ilié débarque dans le bureau, le frigo à la main

LE CHEF DOUANIER
(au téléphone)
Non, ça va, je l'ai retrouvé.
Ils regardent, incrédules, Ilié s'emparer de la poêle du chef et la vider dans une assiette. Ilié beurre à nouveau la poêle, puis ouvre son frigo et dépose trois côtes dans le beurre fondu.

LE CHEF DOUANIER
Que faites vous ?

ILIE
(aux deux autres, sidérés)
Chèvre est mon amie, faim est ennemie. Jé vais tuer ennemi avec chèvre, qui déjà ne souffre plus...

LE CHEF DOUANIER
(suspicieux)
Vous tuez qui ?
Le premier douanier ferme les yeux, douloureusement, en se mordant les lèvres pour ne rien dire.

ILIE
(il articule à l'extrême)
Je mangé ici et viande pas devoir passer frontière.
Pendant qu'Ilié retourne les côtes dans la poêle, le chef douanier reste suspicieux et s'intéresse de près au frigo. Ilié l'observe du coin de l'oeil, avec inquiétude. Le douanier regarde successivement l'intérieur et l'extérieur de la boîte, puis détaille le contenu, en examinant tout cela de très très près.

ILIE
(au douanier, tentant de noyer le poisson)
C'est modèle unique yougoslave, hérité du régime de Tito : parois épaisses... Capitalisme né dispense pas encore ses bienfaits sur frigo. Seulement sur qualitè chirurgicale de frappes aériennes...

LE CHEF DOUANIER
(à son collègue)
Viens voir...
Le nez à la hauteur du haut du frigo, le douanier pointe du doigt quelque chose au fond de la caisse.

ILIE
(extrêmement nerveux)
Parois très épaisses... Normes soviétiques... Garder froid, aussi difficile qu'empêcher opposants de passer à l'ouest. Modèle de frigo appelé Mur de Berlin...

LE CHEF DOUANIER
(il se tourne vers Ilié)
Qu'est-ce que c'est ?

ILIE
C'est humour yougoslave...
Le collègue s'approche lui aussi du frigo et scrute ce que son chef désigne. Ilié est de plus en plus mal à l'aise.

LE CHEF DOUANIER
Ça, sous les gigots ?
Il commence à retirer la viande du dessus. Ilié panique.

LE PREMIER DOUANIER
Du jarret... C'est du jarret, ça, non ?

ILIE
Du jarret, oui !
Ilié aperçoit le poste radio et l'allume aussi sec pour faire diversion. Une voix de journaliste féminine développe les informations. Les deux douaniers se détournent du frigo pour écouter les nouvelles.

VOIX DE LA JOURNALISTE RADIO
Nous vous le disions dans les titres, le ministre de l'intérieur est entré ce matin à l'hopital du Val-de-Grâce, pour y subir, selon nos sources, une intervention chirurgicale. Le secrétariat du Ministère a confirmé la nouvelle...
Ilié replace les morceaux retirés par les deux douaniers. Mais en même temps, il tente de couvrir le son de la radio dont les informations le mettent mal à l'aise.

ILIE
Vous allez voir. Chèvre des montagnes très savoureuse.

LE CHEF DOUANIER
(il écoute la radio)
Silence !

VOIX DE LA JOURNALISTE RADIO
... en précisant que cette intervention était prévue de longue date, et parfaitement bénigne.

LE CHEF DOUANIER
Parfaitement bénigne... parfaitement bénigne... Si on les écoutait... Il faudrait croire qu'ils meurent toujours tous en parfaite santé !
Ilié s'empare d'assiettes et de couverts et dresse la table.

ILIE
Vous préférez côtes "saignant" ou "à point".

LE PREMIER DOUANIER
(il s'assied, à Ilié en désignant la radio)
Excusez-nous... Mais c'est notre chef, tout de même ! On est toujours un peu inquiet de ce qui pourrait arriver...
FERMETURE AU NOIR

10. INT EXT Aéroport-- -- JOUR

Ilié, le frigo-box à la main, passe les portes de sortie. Il quitte le hall de arrivées et se dirige d'un pas vif vers la halte aux taxis.

Il est rejoint par les deux hommes en gris qui l'encadrent sans un mot. Ilié ne les regarde quasiment pas. Sans aucun étonnement de la part d'Ilié, les trois hommes s'engouffrent dans le même taxi.

11. INT Centre hospitalier -- salle d'opération -- JOUR

Salle d'opération moderne, table d'opération, éclairage de circonstance. Chirurgiens , anesthésiste et infirmières s'affairent autour du corps endormi. Les masques et bonnets empêchent de reconnaître les visages. L'équipe est calme, l'opération se déroule quasiment dans le silence.

Le chirurgien surveille fréquemment l'horloge. Monitoring, assistance respiratoire et cardiaque... Un appareil donne artificiellement les impulsions au sang pour assurer la circulation.

Un autre chirurgien est installé à l'écart, sous un deuxième éclairage, occupé à ausculter le coeur qui vient d'être retirer de la poitrine du patient.

Nous découvrons alors, postés derrière une large vitre qui permet d'assister à l'opération sans faire partie des praticiens, les deux policiers en civil qui encadrent toujours Ilié. Les trois hommes sont très concentrés, tendus vers ce qui se passe.

Dans leur petit cagibi, ils écoutent en sourdine la radio. La musique s'interromps pour les infos.

VOIX DE LA JOURNALISTE RADIO
Et d'abord en direct de l'hôpital du Val de Grâce, nous retrouvons notre envoyé spécial pour nous donner des nouvelles de l'opération que subit en ce moment même notre ministre de...
Le deuxième policier coupe la radio.

ILIE
Tout sè passè très bien.

LE DEUXIEME POLICIER
Il semble.

ILIE
S'être coeur d'homme très solide !
(il met la main à la poche, il bluffe)
J'ai d'ailleurs ici carnet de santé...

LE PREMIER POLICIER
(il arrête le geste d'Ilié)
Nous préférons tout ignorer... C'est un blanc, quand même ?

LE DEUXIEME POLICIER
Evidemment, en Yougoslavie !

LE PREMIER POLICIER
Un chrétien ou un musulman ?

ILIE
Chrétien.
Toute l'équipe se tourne vers le monitoring. Sur un signe du chirurgien chef, une infirmière coupe l'assistance cardiaque. On donne une impulsion électrique au patient. Bref moment de suspens. La ligne rectiligne de l'électrocardiogramme se remet à battre le rythme.

Le chirurgien tend le pouce vers le haut pour signifier que tout va bien. Les deux policiers se congratulent du regard et emmènent Ilié.

12. INT Aéroport -- Hall des départs -- JOUR

Ilié est toujours accompagné des deux policiers.
L'un d'eux lui remet un attaché-case et une enveloppe.

LE PREMIER POLICIER
Comme vous l'avez demandé. Avec un visa pour le Chili. C'est ça que vous aviez demandé, non ?

ILIE
Pour le Chili, exactement.

LE PREMIER POLICIER
Vous aurez compris que la santé d'un homme d'Etat...

ILIE
(pour couper court, conciliant)
C'est la pénurie qui nous contraint...
Ilié passe la douane sous les yeux des deux policiers et s'éloigne.

13. INT Aéroport -- Parking -- JOUR

Les deux policiers sont de retour à leur voiture. Ils s'asseyent. En mettant le contact, la radio s'allume.

VOIX D'UN JOURNALISTE
C'est tout ce qu'on pouvait dire, ici, à l'hôpital du Val-de-Grâce...

VOIX DE LA JOURNALISTE
Merci Michel. La nouvelle vient de tomber sur nos téléscripteurs... Le président serbe Slobodan Milosevic a été victime d'un attentat la nuit dernière. Le pays étant toujours fermé aux journalistes, nous ne pouvons vous en dire plus. Mais Moscou confirme l'information, le premier ministre russe s'est déjà envolé pour Belgrade où l'armée est désorientée.
Ceintures de sécurité, marche arrière, nous voyons la voiture s'éloigner en écoutant la radio.

VOIX DE LA JOURNALISTE RADIO
Le corps du président yougoslave a été retrouvé ce matin, exsangue, la cage thoracique ouverte, le coeur ôté au scalpel...
La voiture qui roulait déjà vite freine extrêmement brutalement, et fait un petit travers.

LE PREMIER POLICIER (OFF)
Merde !
Générique fin -- Cartons noirs

Sur des accords de guitare électrique saturée, le premier carton noir apparaît.

Augusto Pinochet AB-
Saddam Hussein A+

Autres cartons noirs...

Boris Elstine B+Vodka
Jiang Ze-Min A+
Slobodan Milosevic O+
Laurent-Désiré Kabila AB-

Durant ce générique, on entend la voix très pédagogique du début.

VOIX TRES CLINIQUE
La réaction de rejet est un phénomène par lequel l'organisme d'un receveur refuse l'assimilation d'un greffon du fait d'une incompatibilité... incompatibilité immunitaire. Dans le système Rhésus, des sujets rhésus négatifs sont susceptibles...
Shunt de la voix clinique qui laisse la place à la guitare blues qui se fait plus "rock'n'roll".
Encore quelques cartons qui s'enchaînent de plus en plus vite, jusqu'aux cartons du générique final...

Jorge Rafael Videla AB+ Khieu Sampan B-
Noriega B- Franjo Tudjman O+
Benjamin Netanyahou B+ Fidel Castro A-
l'Ayatollah Khamenei A- Radovan Karadzic AB+
Ta Mok B+ Souharto 0-
Mouammar el-Kadhafi 0- Oussama ben Laden O-
Jaruzelski A+ Jean-Claude "Baby Doc" Duvallier O+

Défilement du générique final avec noms et qualifications des techniciens et des comédiens, suivi des groupes sanguins.