Un texte écrit par Dominique Wittorski.

« Une pièce unique, à peine salubre, dans laquelle s’entassent de vieilles carcasses d’ordinateurs, tripes à l’air. Le lavabo, le lit, les chiottes.

Deux vieux émigrés, Totl et sa femme survivent là depuis qu'il n'y a plus de travail. Totl tente d’oublier la misère en essayant de récupérer l'or des circuits d'ordinateurs. Madame Totl délire et rabâche pour retrouver Elisa, sa fille, morte il y a cinq ans d'un drôle de suicide. Ces deux vieux cuvent leurs souvenirs qu’Elisa vient de temps en temps rectifier, quand sa mère déjante trop. C’est qu’il y a cinq ans qu’elle est morte, mais il lui est impossible de trouver le repos, à cause de tout le ramdam que fait sa mère. Pathétique du quotidien et ironie des situations.

Dans cette pièce débarquent trois jeunes chômeurs qui récoltent, eux aussi, l'or des ordinateurs. Rires gras qui précèdent de peu le bruit des bottes. Parce que ces jeunes-là, qui vivent aussi la misère, physique et intellectuelle, ne doutent pas du fait que ces émigrés n’ont pas leur place chez nous.

 

Le fossé qui sépare les morts des vivants est bien étroit. »

 

Distribution

3 hommes - 3 femmes

Monsieur Totl
Madame Totl
Elisa Totl, leur fille
Franz
Maurice
Natacha

Vous pouvez trouver tous les détails de mise-en-scène sur la page spectacle dédiée.

À propos du spectacle

Prix et publications

Deuxième Prix du Concours RFI Théâtre 94 - Textes et Dramaturgies du Monde.

Aide à la Création Dramatique 1997 - Ministère de la Culture.

Prix de l'Appel aux Auteurs, lancé par "Promotion des Arts de la Scène" - 1996

Texte paru aux Editions Lansman sous le n° 132. • 1995 • Collection : Théâtre à Vif.

Quatrième de couverture

« M. et Mme Totl ont tout quitté là-bas pour venir ici. Vingt années se sont écoulées et le constat est plutôt mitigé : retranchés dans un trou froid et insalubre, ils se demandent si, finalement, l'herbe était vraiment plus verte chez le voisin.
Et ce n'est pas le fantôme de leur fille - qui voudrait bien, nom de Dieu, qu'on lui foute un peu la paix ! - qui dira le contraire.
La tragédie pourrait s'arrêter là, si trois jeunes en rupture de tout n'avaient décidé de s'en mêler...
Une comédie post-apocalyptique déjantée, où le rire, politesse du désespoir, nous invite à une réflexion amusée sur la recherche du bonheur. »

Note de l'auteur

Il y a plusieurs fables dans Katowice Eldorado.

Celle qui est moteur, qui fait lien, celle autour de laquelle tout s'ordonne, c'est sûrement celle d'Elisa, morte voici cinq ans, d'un drôle de suicide. Morte en espérant être tranquille, avec tout ce poids de terre qui l'aplatirait, comme le poids de la fatigue qui t'écrase dans le moelleux du matelas. L'Eldorado ! Mais les liens qui unissent les vivants à leurs morts sont toujours plus forts et plus étranges qu'il n'y paraît. Et le repos, Elisa ne l'a toujours pas.

Cette absence de repos, c'est à cause de la mère qui a pété les plombs. Ce pourrait être la deuxième fable de Katowice Eldorado. L'histoire du couple Totl, les parents d'Elisa, vieux émigrés polonais, partis de Katowice pour couler des jours meilleurs sous des cieux plus accueillants. Mais passés la frontière, il n'y a personne qui t'attend, le froid est pareil, et ton assiette, il n'y a pas plus de viande dedans que quand tu as quitté chez toi. Leur Eldorado, c'est le retour à Katowice, qui sera possible fortune faite. Et pour l'amasser cette fortune, Totl s'est mis en tête de récupérer l'or des ordinateurs. Pathétique du quotidien et ironie des situations, madame Totl a perdu la tête et invoque perpétuellement le souvenir de sa fille, obligeant celle-ci à revenir la calmer; monsieur Totl, excédé par sa femme, s'enferme dans sa chimérique quête d'or. Les deux forment un vieux couple drôlissime où les non-dits et la mesquinerie le dispute à une vraie tendresse noyée dans la misère qu’ils partagent dans leur pièce unique, à peine salubre, dans laquelle s’entassent de vieilles carcasses d’ordinateurs, tripes à l’air, et le lavabo, le lit, les chiottes…

Ils n'auront pas à entreprendre de long voyage pour rejoindre l'Eldorado. Les protagonistes de la troisième fable se chargeront de les y expédier sans ménagement. Maurice, Franz et Natacha, trois jeunes en marge, en rupture de société, vivent de coups foireux. Le seul moteur qui les anime, eux les exclus, qui vivent aussi la misère, bien sûre physique mais subséquemment intellectuelle, c'est le rejet, l'exclusion. Ils ne doutent pas du fait que ces vieux émigrés n’ont pas leur place chez nous. Ces trois jeunes, qui cherchent par tous les moyens à n'être pas déjà usés, feront couler le sang, celui dont on arrose les serments. Ils le feront dans les rires, leurs rires, ces rires gras qui précèdent de peu le bruit des bottes.

Le fossé qui sépare les morts des vivants est bien étroit.

Extraits

Un extrait audio.

Il s’agit d’un extrait de la création radiophonique réalisée par Ronald Theunen, en 1996, pour la RTBF. Vous y reconnaîtrez les voix de Suzy Falk et d’André Lenaerts.

Les extraits textes.

Katowice Eldorado est publié aux Editions Lansman

Extrait 1

.../...
MADAME TOTL : Il y a une goutte.
TOTL : Pas possible.
MADAME TOTL : J'entends une goutte. Tais-toi.
TOTL : J'ai bouché tous les trous. J'ai passé deux jours sur ce toit.
MADAME TOTL : Écoute !
Ils se taisent tous les deux. On entend une goutte qui tombe sur le plancher.
MADAME TOTL : Une goutte.
TOTL : Il a pas plu.
MADAME TOTL : C'est un tuyau.
TOTL : Il n'y a pas de tuyau dans le toit. Mets un seau. Ça va abîmer le plancher.
MADAME TOTL : Je n'ai pas vu d'où elle est tombée.
TOTL : Prends toujours le seau. Saleté. J'ai passé deux jours. Ça sert de rien. Je ne remonterai plus sur ce toit. C'est pour me tuer. Une goutte ! Je l'ai entendue. Ici. Dépêche-toi, avec ton seau.
MADAME TOTL : Tu pouvais bien aussi le faire toi-même, si c'est pas assez rapide pour ton goût. (elle dépose un seau pour récupérer les gouttes qui tombent du plafond)
TOTL : Je vais déjà devoir remonter sur le toit.
Ils sont autour du seau et regardent les gouttes tomber une à une.
MADAME TOTL : C'est qu'il en tombe beaucoup. Tu es sûr d'avoir terminé tout le travail ?
TOTL : C'est à cause des clous de récupération. Ils sont tordus et rouillés, j'ai pas pu les redresser complètement.
MADAME TOTL : Chut !
TOTL : Ça sent bizarre.
MADAME TOTL : J'entends quelque chose sur le toit.
TOTL (il prend le seau dans les mains et en hume l'odeur) : C'est pas de l'eau qui tombe.
MADAME TOTL : Tu as entendu ? Il y a quelque chose sur le toit.
TOTL : J'ai rien entendu. Mais ça, ça sent pas la flotte, ça sent plutôt l'essence.
MADAME TOTL : Laisse-moi sentir. C'est de l'essence.
TOTL : Tu as entendu ?
MADAME TOTL : Il y a quelqu'un sur le toit.
TOTL : Il y a quelqu'un sur le toit, et ça, c'est de l'essence.
MADAME TOTL : Tu crois que c'est pour allumer un feu ?
TOTL : Ils sont revenus. C'est eux, encore.
MADAME TOTL : Il faut pas allumer un feu sur le toit. Il faut leur dire. Ça va encore être des problèmes. C'est qu'il faut l'autorisation pour allumer un feu en ville. Moi, je veux pas encore des problèmes avec la police. Totl, tu dois leur dire qu'il faut l'autorisation.
TOTL : L'autorisation ! C'est pas un feu qu'ils allument. Ils vont foutre le feu à la maison. L'autorisation de la police, tu parles s'ils s'en moquent. Ils veulent nous faire rôtir.
Il se rue sur la porte, ôte la barre métallique qui la renforce, et sort .
TOTL : Descendez de là. Descendez de là. Qu'est-ce que vous fichez ? Laissez-nous tranquille.
Totl s'écarte de la maison, et sort franchement pour constater de visu ce qui se passe.
MADAME TOTL : Du calme Totl, du calme. (vers l'extérieur) Oui, c'est ça, il faut nous laisser tranquille.
.../...

Extrait 2

.../...
MADAME TOTL : C'était la grande fierté. Que j'étais ronde comme ça
après que j'ai marié Totl. Que lui m'a mariée. C'était toujours ce
que j'avais pensé. Que c'était ça la vie, qu'il fallait avoir
l'enfant. Que l'enfant c'est d'abord ce qui nous tient en vie, qui
nous tient tout debout. Tout simple. Alors l'enfant on l'avait vite
fait. Ça serait la fille ou le garçon, ça on voulait bien les deux.
On n'a pas su comment l'appeler avant qu'il vienne, l'enfant, parce
que Totl, il voulait voir sa tête pour donner le nom. On voulait
bien les deux. Ça a été la fille. Avant ça, déjà, on avait fait tous
les projets, et tous les rêves, sur cet enfant. Qu'on lui dirait
tout à cet enfant, pour qu'il sache tout de suite. Moi j'étais juste
ronde, et je voyais déjà comment je lui parlerais pour qu'il
comprenne la vie. Ça n'a pas été comme ça, parce que d'abord ils ne
parlent pas avant des mois les enfants, alors je pouvais pas dire ce
que j'avais dans la tête. Et puis plus tard, ça a grandi, alors on
le dit, puis ça va très vite, en deux phrases on a tout dit, puis on
n'a plus rien à dire. On n'avait pas préparé plus à dire, parce
qu'il y avait des tas d'autres choses à faire que penser à cette
phrase. Alors quand on a tout dit de la vie en deux phrases, après
ça la vie est comme chez tout le monde. Et tout ton rêve de vivre
avec ton enfant, il est fini. Tu n'as pas fait le bon rêve au début.
Pourtant c'était juste, tout le monde le dit, il faut parler. A la
place de parler au début, c'était trouver la solution pour pas
qu'elle pleure toujours. C'est ça d'abord que j'ai pas compris. Elle
pleure même la nuit, et moi je la prends sur mon ventre entre mes
seins pour lui donner le lait, mais elle ne veut pas. C'était la
douceur de mes seins que je lui donnais, mais elle ne voulait pas.
Elle pleurait toujours. C'était plusieurs jours qu'il a fallu avant
qu'elle commence. Alors c'était plus la douceur qui sortait de mes
seins, ça faisait mal.
.../...

Presse

in « Le Soir » quotidien national belge. Christelle Prouvost 24 avril 1996
« Parce qu’il rêvait aussi d’un monde meilleur, Monsieur Totl, suivi de madame, a un jour quitté Katowice, éreinté son corps dans les mines allemandes pour finalement atterrir dans ce misérable baraquement où il entasse de vieux ordinateurs dont il espère récupérer l’or qui est à l’intérieur des circuits informatiques. Bercée par l’alcool, sa femme se lamente et rappelle sans relâche le fantôme de sa fille Elisa. Tuée par la balle de son minable Franz ou suicidée faute de perspectives, elle est le symptôme désespéré d’une misère inéluctable. Faisant suinter la détresse d’un monde chômeur, marginal, délinquant, Dominique Wittorski diagnostique dans cette première pièce déjà primée par Radio France International, tout ce qui menace notre fragile démocratie, confiant les clés de la sagesse à un fantôme. Noir et Lucide. »
In « Alternatives théâtrales 55 » Le répertoire des auteurs dramatiques contemporains. Août 1997
« Parce que le temps a l’air de s’être arrêté et qu’avec ça, ils peuvent rêver ou du moins imaginer, Totl et Madame Totl survivent à leur misère. Lui, parce qu’il croit qu’il va trouver de l’or dans les circuits logiques des vieux et gros ordinateurs, elle parce qu’elle boit de la vodka. Elle, parce qu’elle croit qu’Elisa n’est pas partie, lui, parce qu’il boit de la vodka. Ce qui va faire mourir ces deux vieux émigrés polonais, c’est l’intrusion de la réalité dans leur fiction sentimentale. Trois « casseurs » de petite envergure, Franz, Natacha et Maurice vont les acculer à se rappeler ce qui s’est passé. Ramenés quelques instants à la réalité, ils vont se voir obligés de comprendre pourquoi Elisa est morte avec deux balles dans le corps, obligés de comprendre pourquoi ils n’ont plus de travail, plus de maison, plus d’électricité. Obligés de s’en remettre à l’idée qu’ils ne trouveront pas d’or et qu’Elisa ne reviendra plus. L’écriture de Katowice-Eldorado suit avec précision le tempérament syntaxique de chaque personnage. Il y a donc presque autant de registres de langue que de personnages. Le parler populaire de Madame Totl et le phrasé lyrique d’Elisa sont l’exemple d’une écriture qui se fait à partir de l’expressivité des mots et de leur agencement. Et si nous avons l’impression d’une homogénéité, c’est parce que le ton « anti-déprime » et les coups de fouets humoristiques de l’auteur font le liant de la « sauce ». »
Emmanuel Oldenhove & Michaël Meurant (metteurs en scène)
« Quoi de commun entre Katowice, ville industrielle de la Silésie polonaise, et l’Eldorado ? A priori, rien. Et pourtant, Dominique Wittorski, dans cette première pièce montre bien que chacun cherche son Eldorado et que celui-ci n’est pas toujours celui de l’autre…
L’on verra ainsi unis autour de la fin du destin de la famille Totl (les morts ?), six personnages venus d’au-delà des frontières que notre société a érigées : Monsieur et Madame Totl, deux vieux immigrés polonais, Élisa, leur fille fantôme et les trois éléments aussi perturbateurs que perturbés, Maurice, Franz et Natacha. Le décor, et ses carcasses d’ordinateurs empilées dans un baraquement insalubre, lie les marges grotesques de l’Eldorado occidental avec celles du tragique.
Dominique Wittorski, acteur, dramaturge, réalisateur, metteur en scène… nous laisse ici un texte incisif autant qu’intelligent sur la dérive de nos aspirations que les étudiants de l’Université Adam Mickiewicz de Poznan (Pologne) sont heureux de vous présenter. »
Crédit photos : toutes les photos de cette page proviennent de la mise-en-scène de Peter Ninane (Projet Alcantaréa)