L’Odyssée. Chant 19.
Au chant 19, Ulysse est seul et pense à sa vengeance. Les humiliations ont été nombreuses, au chant précédent. Télémaque arrive. Ulysse et Télémaque (son fils, donc) décident de retirer toutes les armes de la grande salle de réception du palais. Lors du combat (final ?) les prétendants ne pourront donc se ruer sur les armes accrochées aux murs pour se défendre.
Mais ce n’est pas le centre de ce chant. Télémaque part.
Ulysse est seul et pense à sa vengeance.
Pénélope vient le voir, discrètement. Une fois que tout le monde est parti.
Elle se retrouve en face de lui. Vingt ans qu’ils sont séparés. 10 ans de guerre de Troie, et 10 ans de retour.
Et l’homme qui est en face d’elle est un vagabond.
Mais il a exactement l’âge qu’aurait son Ulysse perdu. Elle le sait d’ailleurs, elle le dira :
« Ulysse aurait ces pieds. Ulysse aurait ces mains ! »
Mais elle ne le reconnaît pas. Elle l’interroge, mais n’a pas de doute. Elle l’écoute comme un étranger qui pourrait parler de son Ulysse. Alors Ulysse ment et raconte l’histoire déjà rôdée chez Eumée et chez les Phéaciens. Pénélope est touchée et veut rendre à ce vagabond des traits acceptables pour le journée du lendemain. Elle demande à ses suivantes de baigner les pieds du vagabond. Ulysse refuse d’être lavé par des jeunes femmes plus jeunes que lui. Il demande une femme de son âge. Il sait qu’il y a Euryclée, la servante qui le baignait déjà quand il était gamin.
Drôle de chant. Pénélope est face à Ulysse et ne le reconnaît pas. Vous savez les parallèles qu’il y a avec Thèbes (et il y a, encore, dans ce chant deux références à Thèbes, la première avec Minos dont se réclame Ulysse dans son mensonge, Minos le fils d’Europe que Cadmos cherchera partout avant de fonder Thèbes ; la deuxième avec Zéthos, l’un des rois possible à la succession de Cadmos sur le trône de Thèbes) … Jocaste sera face à Œdipe. Pareillement, 20 années auront passé. Aucun récit ne conte le dialogue qu’aurait eu Jocaste et Œdipe à leur première (seconde) rencontre. Mais ici, dans l’Odyssée, postérieure, on a en détail ce dialogue et l’aveuglement.
« Ulysse aurait ces pieds. Ulysse aurait ces mains ! »
Quel étonnement pour un lecteur attentif, ce détail ici sur les pieds d’Ulysse (Œdipe, c’est « pieds gonflés »). Et plus encore, ce désir de laver les pieds de ce vagabond.
Et quel étonnement que les questions de Pénélope et les mensonges d’Ulysse, afin que Pénélope ne soupçonne rien.
Et Pénélope qui pleure Ulysse, qui pleure Ulysse et l’a pourtant sous les yeux, qui pleure Ulysse et ne le reconnaît pas. Mais qui l’honore.
Et l’on imagine Jocaste qui a sous les yeux les pieds percés d’Œdipe, alors qu’elle sait que son bébé a ainsi été torturé… Et elle ne voit pas. Pas plus que Pénélope.
Alors Euryclée, la servante dévouée, va baigner les pieds d’Ulysse. Et lorsque les pieds d’Ulysse, qui s’est pourtant dérobé, seront dans l’eau tiède, Euryclée verra sur la cuisse d’Ulysse une cicatrice qu’elle reconnaît. Un accident de chasse qui balafra la cuisse d’Ulysse.
Voilà. Pénélope ne reconnaît pas Ulysse. Et Euryclée le reconnaît immédiatement. Mais Ulysse lui impose le silence, qu’elle accepte.
Et la conversation continuera entre Pénélope et Ulysse… Et ils décident ensemble d’organiser un concours. Celui qui pourra bander l’arc d’Ulysse, parmi tous les prétendants… et Ulysse… se verra accorder la main de Pénélope qui se croit veuve. Ulysse est enthousiaste à cette idée. Cliffhanger.
On ne m’ôtera pas de l’idée, qu’ici se joue toute la complexité du rapport entre Jocaste et Œdipe. Bien loin d’une simple parabole de l’inceste.
On est vraiment dans une série. Il ne reste plus que 5 épisodes. Je redoute déjà la fin, que je connais pourtant déjà… Le spectateur n’a pas changé en 3000 ans…

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