L’Odyssée. Chant 18.
Il y a un plaisir à lire les chants jours après jours, en suivant scrupuleusement la découpe du poète. Petit à petit, saute aux yeux la forme qu’ils prennent, et comme ils se répondent. J’imagine qu’en les enfilant tout le jour comme des perles, s’évanouiraient les rythmes qu’ils contiennent pour ne plus que courir l’intrigue… dont chacun connaît pourtant la fin. L’intrigue au fond, dans la lecture des chants séparément se dissout un peu et devient secondaire.
Or donc, chant 18.
Après celui-ci, il en reste encore 6. Et nous sommes sous le toit d’Ulysse, en Ithaque. Il me saute aux yeux que l’Odyssée à proprement parler, c’est-à-dire « ce à quoi je m’attendais », le voyage, les îles, le Cyclope, les horreurs incroyables sur la mer déchaînée…, eh bien cette Odyssée-là ne tient qu’en 4 chants (9, 10, 11, 12). Quatre chants sur vingt-quatre ! Ce sont ceux dont on connaît vaguement quelque chose aujourd’hui : le Cyclope (je l’ai dit), Circé et les cochons, la descente aux enfers pour y entendre Tiresias, Charybde et Scylla, et les vaches du dieu Soleil… Avec quelques rencontres supplémentaires qui s’ajoutent à ces épisodes principaux. Voilà tout ce que l’on raconte de l’Odyssée d’Ulysse. L’extraordinaire de quatre chants sur vingt-quatre.
Chant 18. Et donc ce qui me saute aux yeux, c’est qu’une nouvelle fois le chant semble coupé en deux. Dans le même chant, deux moments forts, de forces différentes, et qui ne semblent pas se répondre immédiatement. Et l’affaire se termine souvent par un cliffhanger. Cependant celui-ci n’est pas du tout utilisé à l’américaine.
Chant 18. La première partie provoque au lecteur que je suis comme un peu de malaise. Il s’agit d’une bagarre, qui a lieu sous le toit du palais d’Ulysse. En effet, Ulysse est rentré chez lui, incognito, au chant précédent, et tous les prétendants l’ont pris pour le plus vulgaire des clochards. Je l’ai raconté hier.
Un autre vagabond se présente au palais. Et rien de mieux ne survient en ce récit qu’un pugilat entre ce nouvel arrivant et Ulysse, toujours clochardisé. Ô mon dieu, cet inconfort : les deux pauvres qui doivent se battre, sous les hourras des Héros, des nobles, des prétendants de Pénélope… Du boudin pour le vainqueur et la honte, l’éloignement définitif pour l’autre.
C’est ainsi, la bagarre est organisée entre les pauvres. Ulysse, évidemment, la remporte, aisément, en épargnant plus ou moins son rival.
Les prétendants, manifestement, rien ne les arrête. Ils jouissent de leur force et de leurs privilèges, et humilient le faible avec un plaisir que rien n’atténue.
Dans la deuxième partie du récit, Pénélope viendra dire son dégoût de la chose. Et Télémaque, son fils, abondera dans le sens de sa mère. D’autres conflits surviendront, de la même nature.
Où l’on voit que, non seulement on ne trie pas les pauvres et les étrangers pour choisir ceux que l’on accueille, mais en plus, on ne déclenche pas de rivalité, c’est si facile, entre pauvres, pour choisir ceux que l’on gardera pour se faire valoir.
L’Odyssée est peut-être un récit épique, il est, à toutes les pages, d’abord un récit moral.
Ses 24 chants ont traversé les millénaires, mais, pour notre confort, nous n’avons retenu que l’anecdote de 4 chants ésotériques… Pourquoi n’avoir rien transmis de ce qui est en toutes lettres ?