Jour 10
Ulysse continue ses récits.
Au chant 9, il a aveuglé le Cyclope et puis a réussi à prendre la fuite.
Chant 10.
Ulysse fuit donc, et arrive chez Eole. Drôles de gens. Drôle de famille. Eole (dieu des vents) a 12 enfants. 6 garçons et 6 filles. Et, parce que c’est le plus simple peut-être, il a marié les 6 filles aux 6 garçons… Le séjour chez Eole a beau durer un mois, cela tient en quelques lignes, chez Homère. Ulysse raconte la guerre de Troie à Eole (une ligne dans le récit, qui dure un mois), puis, cela fait, Ulysse demande à repartir. Eole lui met un petit vent arrière propice à une navigation confortable, et lui confie un sac en peau de bœuf, étanche, très gonflé et hermétiquement fermé. Alors qu’au bout de 9 jours de navigation, Ulysse et ses hommes aperçoivent la terre natale, Ulysse s’endort, les hommes décident d’ouvrir le sac, l’espérant plein d’or. Ce sont des vents qui en sortent. Et le bateau qui s’approchait de sa destination finale est emporté dieu sait où.
Episode bref, donc, mais probablement très signifiant. Parce qu’ensuite, les rencontres d’Ulysse vont être très extraordinaires. Je veux dire : alors que toutes les rencontres jusque-là sont restées réalistes (oui, même pour le Cyclope), les récits d’Ulysse vont nous emmener sur des terrains de plus en plus incroyables. Non, pas incroyables. Dans un récit mythique, ou l’on ne croit à rien, ou l’on croit tout. Il ne s’agit pas de croire. Disons qu’on quitte le réel et qu’on rentre dans le magique, dans le merveilleux, dans le surnaturel, dans l’ésotérique.
Oui, même s’il s’agissait d’un Cyclope, au chant 9, tout le récit se conforme aux us et usages de la civilisation d’Ulysse. Il y a juste que le Cyclope est gigantesque et n’a qu’un œil… Mais son commerce est compréhensible, et du reste c’est un berger comme n’importe quel berger…
Quand il quitte Eole, le voyage d’Ulysse, déporté par le vents, devient surréaliste. Il y a d’abord un court récit qui nous raconte qu’Ulysse et ses hommes arrivent au pays Lestrygon. Un pays de géants. Ulysse envoie trois hommes. Ils posent des questions. Demandent le nom de tel ou tel… Est-ce une faute ? (On l’a vu, ça ne se fait pas) L’un d’eux se fera bouffer par les géants. Les deux autres se tirent en vitesse pour alerter Ulysse. Quand celui-ci décide de quitter l’île, il est presque trop tard. Seul son navire s’en tire. Les autres bateaux de son escadre sont détruits. Et tous les hommes qui y ramaient finiront en barbecue.
Ulysse, en fuite à nouveau, arrive sur l’île de Circé. Il y forme deux équipes. L’une des deux équipes part en exploration, arrive chez Circé, et celle-ci, par un poison mélangé à du vin (enfin un peu plus que du vin, nous verrons) les transforme presque tous en cochons. Un seul peut fuir. Il prévient Ulysse. Ulysse retourne chez Circé, mais est aidé par Hermès (le dieu messager, oui je sais, ça fait beaucoup de personnages), qui lui donne une herbe de vie, il ne tombe pas sous le coup du poison de Circé. Et il arrive à sauver tous ses hommes. Du coup, Circé, revenue à de meilleurs sentiments, accueille tous les marins, qui restent chez Circé jusqu’au printemps suivant. Une année environ. Curieux passage, assez long, où Circé est d’abord abominable avant d’être la plus accueillante qu’on puisse imaginer, puisque tous restent là toute une année…
Quand Ulysse voudra partir, Circé lui dira quoi faire. Pas moyen de sortir de ces rencontres ésotériques (et à ce titre pas immédiatement compréhensibles pour nous), et donc pas moyen de rentrer chez lui, dans le monde réel, sans passer par les enfers. Au chant 11, il faudra donc qu’Ulysse rencontre Tirésias (tiens, encore une fois, le devin aveugle de la ville de Thèbes (cette Thèbes où l’on est incestueux comme chez Eole…) qu’il rencontre Tirésias, donc, aux enfers, chez Hadès et Perséphone (la déesse de l’agriculture, femme du dieux des enfers…). Où l’on pressent que ce voyage ésotérique a donc à voir avec cette agriculture et les connaissances qu’il faut pour en maîtriser l’art (détail ésotérique du récit : lorsque Circé empoisonne les hommes d’Ulysse pour les transformer en cochon, je vous ai dit que c’était avec du vin empoisonné, mais c’est un peu plus complexe, c’est avec un breuvage qui s’appelle le « kykéon » à base de vin – je vous le disais – mais aussi de farine, de miel…, et qui est intimement lié à l’histoire de Perséphone, et aux mystères d’Eleusis, mystères liés à l’agriculture – on est là complètement dans l’ésotérique).
Ouf, à cet endroit, je crois que plus personne ne suit. Moi-même je suis enseveli par les mystères et par les personnages.
Je crois que ce qu’il faut retenir de ce dixième chant, c’est le passage du monde des hommes (jusqu’au chant 9) au monde des morts (chant 11). Il faut bien un ascenseur qui fasse décoller du réel (ce chant 10, donc). Homère a sûrement grignoté quelques champignons hallucinogènes. Mais des clés sont là, qui nous ramènent toujours vers Thèbes et vers l’agriculture…
Je me demande quand même dans quel ascenseur nous sommes installés, nous, depuis 10 jours. En tout cas, pour l’instant c’est de plus en plus tendu. pourvu que les dieux ne jouent pas trop avec nos pieds. Et que le voyage vers les enfers ne soit ni pour tous, ni sans retour…