L’écriture théâtrale m’a choisi, plus que je ne l’ai choisie…
D’emblée « Katowice-Eldorado », mon premier texte, a reçu un accueil étonnant. Pourtant, je l’avais entrepris pour me confirmer, lors d’un stage, qu’écrire du théâtre était largement hors de ma portée. Ma formation est celle d’un acteur. Mon abord des textes passait donc par les personnages. Autant l’écriture du cinéma me semblait mécanique, abordable, autant le théâtre me semblait inaccessible. Appréhender un texte dans son ensemble me paraissait déjà une tâche monumentale, écrire un tout cohérent, carrément titanesque. Mais les questions étaient là, et la découverte de l’écriture sous l’impulsion de Jean-Marie Piemme ce fut cela : découvrir qu’écrire c’est procéder par question et non pas aligner des réponses. Je continuai donc mon « Katowice-Eldorado », dans la solitude de ma chambre, n’espérant pas l’en faire sortir pour faire connaître au monde un nouvel auteur mais simplement pour achever le tour de ma (mes) première(s) questions(s).
L’aventure de l’écriture aurait pu s’arrêter là ! Les choses ne sont jamais ce que l’on croit qu’elles vont être : l’accueil fut extrêmement favorable (2ème prix RFI, bourse d’encouragement à l’écriture de la DTS…), quant à mes questions, elles me restaient sur les bras. Quand on soulève une question, on ne sait combien de temps il va falloir chercher les réponses. C’est le C.N.E.S.-La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon qui m’a donné l’occasion de poursuivre l’essai théâtral. Françoise Villaume et Daniel Girard m’invitèrent pour trois mois de résidence. Leur confiance aiguillonnait mon désir. J’entrepris « Vermeer, beau bleu », pièce dans laquelle mes questions devaient trouver des réponses plus approfondies.
La principale différence dans les moteurs qui ont prévalu à l’écriture de ces deux textes résidait dans le désir. Mon désir, pour « Katowice », de tester sans risque et puis d’oublier. Pour « Vermeer », le désir de la Chartreuse de me faire continuer, et de me donner l’assise matérielle nécessaire. Ce n’est pas rien. Dans la solitude qui domine la condition de l’auteur, le désir des autres est un facteur multiplicateur de son propre désir. Il donne également au travail un soupçon de nécessité. Le théâtre n’est pas une discipline de la solitude, comme d’autres formes d’écriture. Et de savoir que le travail entrepris éveille déjà la curiosité, l’attention, l’appétit, n’est pas une mince motivation. « Vermeer » a vu le jour sous ces bons auspices, et de bonnes fées se sont penchées sur son berceau.
Ce n’est qu’à partir de là que j’ai commencé à considérer que peut-être, eh bien oui, quoi que j’en aie, finalement, j’étais en train de devenir un auteur…
Confirmation par la voie d’une commande : un texte court « Padam, padam, pas d’âme ! », que Jacques Nichet sollicitait dans le cadre d’une formation pour comédien à Bruxelles. Là, l’écriture s’alliait au travail sur le plateau. Un va-et-vient entre les répétitions et l’écriture rompait totalement l’isolement des créateurs.
L’écriture m’a choisi, lentement, et le processus qui me semble normal aujourd’hui, c’est que ma démarche d’auteur, de dramaturge continue à s’inscrire autant dans mon désir de répondre à mes questions toujours en suspens, que dans le désir des autres. Il me semble important d’être dans les réseaux qui attirent l’attention sur l’écriture en cours. De vérifier, en permanence, que les questions que je m’assigne sont bien en résonance avec le monde. Le plateau, en général, sert à cela. Mais en amont déjà, il est important de refuser d’être un homme seul, perdu dans ses propres préoccupations. Le théâtre est un art de la communion, on ne le crée qu’ensemble. C’est d’ailleurs pour cela que l’écriture m’a choisi, et non l’inverse : je n’écris pas pour moi, mais pour trouver mon ordonnance du monde, et la partager. Si ce partage n’existe pas, l’écriture est caduque.
Et puis, je suis acteur. C’est ma formation, c’est mon goût. J’écris comme je joue, c’est-à-dire qu’avant tout je privilégie l’acte, le spectacle. Les moyens de l’écriture et de ce qui fait spectacle m’intéressent autant que la thématique ou la ligne narrative. Peut-être même suis-je trop sensible aux péripéties ponctuelles, à ce qui soutient l’attention, à ce qui est moteur de jeu, de plaisir, de rire, d’émotion, au détriment de la narration pure. Les débuts me passionnent. Débuter, c’est surprendre, étonner, emmener sur de fausses pistes, faire découvrir… Les débuts ont toujours une grande fragilité qui multiplie le plaisir. Il m’arrive donc, à mon corps défendant, de multiplier les débuts, pour cueillir une nouvelle fois, parce que l’acteur y trouvera grand plaisir, et donc le spectateur aussi. Le vrai problème des débuts multiples, c’est la fin. Que faire de tout ce matériel. Je ne peux laisser en suspens, je ne peux abandonner en route, il faut conclure. Le premier travail est donc de réduire les débuts en un seul début, et de le bien choisir pour conduire à une seule fin. Parce que, malgré tout, il n’y a qu’un début, et il ne faut qu’une fin. La fin, ce pourrait être cet endroit où le protagoniste a effectué sa révolution, sa transformation. Mais comment s’arrête-t-elle, cette révolution, comment la révolution est graduelle, et comment retrouve-t-on une nouvelle stabilité ? Ou bien faut-il rester dans l’instable ? Cela dépend peut-être des objectifs premiers. La fin, ce n’est peut-être que cette toute première chose que l’on se choisit : la question que l’on pose au moment où l’on commence à écrire. Et cette question, doit-elle trouver une réponse, ou bien s’être scindée en multiples sous-questions ? Auquel cas, qu’est la fin ? Un point final, un point d’interrogation, le bord d’un abîme ?
Savoir que l’on a atteint la fin, c’est-à-dire le point où l’on a dit ce qu’il fallait que l’on dise, c’est le moyen le plus sûr de pouvoir terminer. Ce n’est pas seulement une boutade : car s’il faut faire une fin à la pièce, il faut pouvoir soi-même s’arrêter, pouvoir se dire » oui, maintenant, ça y est « .
Le travail de la fin, c’est un travail d’élagage, de suppression, d’abandon, et de deuil.