L’Iliade. Chant 10.
Tous sont allés dormir. Seul Agamemnon, dans sa tente, se retourne la tête. La nuit est profonde. Que faire pour éviter la débâcle aux grecs, et un retour humiliant au pays, après des vaines batailles ?
Agamemnon se lève et décide d’aller consulter ses conseillers. Ménélas au même moment s’est levé lui aussi. Lui qui est la cause de toute cette guerre. Et chacun d’aller réveiller les chefs grecs. Et tous s’assemblent.
Deux choses sont remarquables : plus d’un, se réveillant, se couvre d’une peau de lion. Pas le moins combattif des animaux, le lion… Et, par ailleurs, mon esprit ne peut s’empêcher de penser : « tous dormaient, tous étaient pris de l’impossibilité d’agir, et, au milieu de la nuit, les voilà qui se réveillent. Un réveil urgent. Un réveil salutaire ». Chant X, le réveil grec ? Mais alors de quel sommeil ?
Tous sont au conseil. Et l’on cherche un plan. Et quand il faut un plan et une bonne réflexion, c’est le vieux vieux Nestor qui parle. Il conviendrait d’envoyer un espion au camp troyen, pour voir ce qu’ils mijotent. Malin.
Mais qui s’y colle ?
Quand cette question ce pose, dans cette Iliade, c’est toujours Diomède qui arrive en premier. Le fils du vaillant combattant contre Thèbes, vous savez ? Donc Diomède se propose. Mais il n’est pas à l’aise, Diomède, et demande que quelqu’un l’accompagne. Là, il y a pléthore de prétendants. Diomède a le choix. Il choisit Ulysse, le plus roublard, le plus malin des grecs… celui que la nuit n’arrêtera pas.
Et les voilà tous les deux partis dans la nuit. Armés par les autres du conseil. Du casque de l’un hérité d’un autre vaillant, de l’épée d’un troisième, et d’une cuirasse qui en a vu d’autres… Autant dire qu’ils sont plusieurs dans chaque culotte…
Et pendant ce temps, que croyez-vous qu’il se passe du côté troyen ? Hector ne dort pas. Il se demande si les grecs tremblent sur place ou sont déjà en train de rembarquer. Il a réuni le conseil, lui aussi. Et devinez l’idée ? Je te le donne, Emile, il faut envoyer un espion dans les rangs grecs, pour voir où ils en sont. C’est Dolon qui se propose. Une sorte de matamore qui se flatte de récupérer les chevaux d’Ulysse. Notez qu’il n’y a aucun suspense. Dès le choix de l’espion, le poète nous dit qu’il va à la mort…
Dolon traverse la plaine couverte de cadavres pour rejoindre le camp grec, tandis que Diomède et Ulysse font le parcourt inverse. Mais les plus malins sont aussi les plus nombreux. Diomède et Ulysse repèrent immédiatement Dolon, l’empêchent de fuir vers ses lignes, le coincent, et le neutralisent. Alors commence un interrogatoire dans lequel Dolon va donner tous les détails du déploiement troyen. L’espion est une balance de premier ordre.
Il y a, au début de cet interrogatoire un dialogue succulent, plein d’humour et de cocasserie, dans lequel Dolon avoue pitoyablement qu’il est chargé d’espionner et que le salaire choisi par Dolon pour ce forfait, ce sont les chevaux d’Ulysse (le crétin ignore que c’est Ulysse qui l’a intercepté). Et Ulysse, souriant, de lui répondre :
« Ton cœur avait, ma foi, le goût des beaux cadeaux.
Les chevaux du brave Ulysse !
Le malheur, c’est qu’il sont malaisés à dresser,
aussi bien qu’à conduire… »
Il semble qu’il n’y ait pas que les chevaux d’Ulysse qui soient malaisés à conduire dans cette affaire. Le passage me fit rire. De l’humour dans l’Iliade ? Il y en a sûrement plus. Mais peut-être me (nous) manque-t-il quelques références…
Enfin, donc, Dolon s’est mis à table, avec force détails, espérant la vie sauve… Diomède le décapite. Eh oui, c’est la guerre la plus terrible.
Et, forts de leur connaissance des lignes troyennes, Diomède et Ulysse se dirigent vers l’extrémité où siègent les Thraces, alliés troyens. Là, ils tuent à tour de bras les guerriers en sommeil, et volent leur chevaux.
Ils reviennent alors au camp grec, avec ces chevaux au tempérament de feu. Et la dépouille de Dolon, l’espion troyen. L’expédition est une réussite.
Là-dessus, Ulysse et Diomède se baignent dans la mer pour se débarrasser de leur sueur. Ils prennent ensuite un bain d’eau tiède et douce, s’enduisent d’onguents, et dînent encore une fois, en buvant aux dieux… L’aube ne doit plus être très loin…