Un texte écrit par Dominique Wittorski.

Résumé :

Ulyss est expulseur. C’est un métier.
Qui n’a rien à voir avec l’expulsion de sans-papiers et un ministère de l’immigration.
Ulyss expulse du correctement répertorié, de l’administrativement correct.
Ulyss expluse des propriétaires.
Enfin, des partiellement propriétaires.
Des gens qui sont passés par un emprunt bancaire pour acquérir leur logement.
Des gens qui malheureusement n’ont plus les moyens de payer leurs traites.

Ulyss passe après le recouvreur de créance.
C’est bien aussi « recouvreur de créance »...
Lorsque ce dernier n’a pas pu récupérer du pognon,
alors un ordre d’expulsion est donné,
afin de mettre le bien immobilier en vente.

Les propriétaires, souvent, sont peu pressés de partir.
Alors on leur envoie Ulyss.

Il en faut des Ulyss.
Ulyss le sait.
Et il sait que ce qui arrive aux gens qu’il expulse est très désagréable.
Alors, il tente d’être sympathique, Ulyss.
et il l’est.
Humain.
La vie est difficile pour tout le monde.
Et Ulyss, qui a choisi (pris ? accepté ?)  ce métier pour boucler ses fins de mois,
il comprend ce que c’est la misère.
Parce que l’expulseur, il vit chichement aussi.
Manquerait plus que ça, que l’expulseur vive colossalement sur le dos de la misère des autres.
Non.
La banque et la justice veillent.
Ulyss survit grâce à ce boulot.
Et il ne tient pas à en faire trop, parce que, tout de même,...
C’est assez violent.

Mais voilà,
Un matin, lorsqu’il relève le courrier que la Justice et la banque lui envoient, lui passant commande de quelques expulsions...
Ulyss trouve son propre nom dans la liste des mauvais payeurs.

Ulyss va devoir s’auto-expulser.
Sûrement, un bug informatique.
C’est un collègue qui devrait opérer...
Y en a pas de disponible dans ce coin reculé, probablement.
Enfin, Ulyss sait bien qu’il n’a plus de quoi payer ses traites depuis trop longtemps...

Mais cette expulsion ?
Ce n’est même pas l’expulsion de trop.
Ulyss n’était pas un cynique.

Ulyss va la prendre à cœur.
Il va partir.
Loin.
Très loin.
Très loin de ce monde qui transforme quelques pauvres en expulseur d’autres pauvres.
Très loin de ce monde qui marche sur sa tête.

Alors, il fait son balluchon et se rend chez son ami,
Avec lequel il a refait le monde bien des nuits, ...
Refait le monde sans effets notoires
puisqu’au petit matin, le crâne fracassé d’alcool, rouvrant les yeux bouffis,
Ils constataient que le monde était redevenu comme avant, la veille au soir, toujours pareil.

Avec son ami, Ulyss va prendre la route.
Quitter ici pour le lointain ailleurs.
Ulyss n’a pas les moyens d’un billet d’avion,
sans quoi il aurait payé ses traites,
il est légitimiste, Ulyss,
Donc, Ulyss va employer, avec son ami aussi pauvre que lui,
la technique des pauvres :
Il va se trouver une niche dans le train d’atterrissage d’un Airbus en partance pour là-bas, cet ailleurs doré, cet ailleurs qui ne souffre pas du fonctionnement malade d’ici.

Sauf que les choses sont toujours plus compliquées que l’on croit.
Le train d’atterrissage qu’il s’est choisi...
il est déjà occupé !
Par deux personnes qui ne veulent pas en déloger.
Ulyss a beau être expluseur... cette situation est ingérable...

Note d'intention de l'auteur :

L’ambition de ce texte est de parler d’immigration.
Il est superflu de s’étendre sur la nécessité ou l’actualité d’un tel sujet.
Les journaux nous abreuvent de faits divers et de débats politiques sur cette matière.
Le tout, hélas, est souvent biaisé.

Il faut, me semble-t-il, que le théâtre contemporain se penche sur ce sujet avec attention.
Si beaucoup d’auteurs l’ont tenté, il faut encore le refaire. Parce que les questions en jeu sont loin d’être claires pour tous.

Le texte a pour ambition de soulever des questions chez les spectateurs, non d’adopter une posture (fût-elle généreuse), ni de dispenser des solutions ou du prêt à penser.

Pour susciter les questions, je procéderai par un triple renversement de point de vue, afin d’obliger le spectateur à se décoller de ses propres mécanismes de réflexions et de ses habitudes de pensée.

Primo, l’expulseur est expulsé.
Ceci afin d’éviter l’éternelle position de victime permanente dès lors que l’on parle immigration.

Secundo, le blanc fuit l’Europe opulente pour rejoindre une Afrique fantasmée, généreuse et attentive. Lorsque l’on fuit, ne part-on pas toujours vers un fantasme ?

Enfin, dernier renversement, il s’agira d’opérer un renversement intellectuel sur la situation européenne :
On a coutume de penser que nous sommes, ici en Europe, des individualistes. Que c’est cet individualisme qui nous rend fermés et égoïstes.
Et si, contre toute attente, nous n’étions pas aussi individualistes que nous le croyons ? Mais qu’on contraire nous avions bâti un collectif tellement excluant qu’il ne peut plus dire son nom, et que c’est au nom (non-dit) de ce collectif (si nécessaire à l’homme, au groupe humain) que nous expulsions. Qu’il faille donc que nous nous rendions compte de ce que  nous trimballons de collectif inavoué parce qu’inavouable (trop dégueulasse pour lui donner ce nom) avant d’arriver à changer notre regard sur ces questions.

Un exemple. Nous sommes en démocratie. Nous pensons donc que les lois sont faites par les citoyens (via des représentants) pour les citoyens. Or, sur les questions d’immigrations, les premiers concernés par les lois ne sont jamais ni consultés, ni représentés. Une toute petite minorité impose sa loi à l’énorme majorité en se drapant dans sa certitude démocratique.

Que nous nous rendions compte seulement de cette aberration et nous aurons peut-être une chance de trouver des solutions nouvelles…

 

 

L'univers :

Pièce écrite en 2010-2011 sur commande de la Compagnie La Strada, de Troyes (en Champagne) soutenue par Côté Cour, association de diffuseur des Ardennes, l'idée de ce texte est venue dans le cadre d'un projet transfontalier franco-belge.

La demande de la compagnie : mêler au texte, des chants ou des chansons...

 

Distribution

4 acteurs (3hommes et 1 femme)

Ulyss : expulseur
Diom : ami expulseur
Tirésias : fils de Cham, ébène aux yeux sombres, opaques, qui éclaircissent l'avenir
Péné : ibère sioux qui marche contre le vent

Extraits du texte

Vous pouvez trouver tous les détails de mise-en-scène sur la page spectacle dédiée.

À propos du spectacle