Un texte écrit par Dominique Wittorski. Il a également mis en scène le spectacle et y joue un rôle.

« Suis pas un con, suis pauvre » dit Ohne, sans emploi.
Il est sans place dans la société, sans langage adéquat.
Il se présente à l’ANPE.
On lui demande de prendre un numéro – il prend –
et de surveiller le cadran – il surveille.
A la fin de la journée, son tour a passé, il ne s’est pas manifesté.
Mais il refuse de partir. Devant son obstination, l’employé accepte de rester.
Mais Ohne parle une langue trouée.
Arrive alors au secours de son fils, la mère de Ohne… morte depuis 20 ans.
Et ça fout un bordel ! Impasse.

L’histoire se répète trois fois. Avec trois Ohne aux langues différentes.

Distribution

2 hommes - 1 femme minimum :

Ohne
L'employé de l'ANPE
La mère de Ohne

Ces trois personnages reviennent dans les trois parties, l'on peut donc se contenter d'un seul Ohne, d'une seule mère et d'un employé, tous récurrents. Mais on peut aussi imaginer trois Ohne différents, trois employés différents et trois mères différentes, ce qui portent le nombre d'acteur à 9 (6 hommes, 3 femmes). Et puis toutes les possibilités intermédiaires...

Vous pouvez trouver tous les détails de mise-en-scène sur la page spectacle dédiée.

À propos du spectacle

Prix et publications

Commande de France Culture  2001.

Bourse d'encouragement à l'écriture du Ministère de la Culture (DMDTS) 2003.

Publiée aux Editions Actes Sud-Papiers. février 2006.

Prix Collidram 2007 - 1er Prix de littérature dramatique des collégiens (Aneth)

 

L'exclusion en trois tableaux

Le premier Ohne n'utilise pas de sujets. Il ne peut parler de lui-même à la première personne. Il n'est personne. Il existe à peine, sans nom : l'tuyau.
Le monde existe, Ohne n'en fait pas partie puisqu'il ne peut faire partie de rien, n'étant rien.
Le premier tableau fait ce constat-là et ne veut pas en faire une étude psychologique (pourquoi ? à qui la faute ?). Pour ne pas être exclu, il faut être sujet. Comment faire un sujet ? La société, aujourd'hui, veut-elle vraiment des sujets, ou est-elle prête bien souvent à se contenter d'objets ?

Le deuxième Ohne n'utilise pas les verbes. Ohne existe, son corps le lui rappelle avec constance. Mais Ohne n'est que son corps. Ohne n'est nulle part. Il est un corps en mouvement. Ohne n'est qu'un corps qui s'impose à lui-même. Ohne V n'est qu'actes ! La société peut-elle accepter un corps en acte ? A nouveau rien de psychologique là–dedans. Au contraire même. Ohne n'utilisant pas de verbes, il est mécaniquement obligé de faire ce qu'il pense, non de le dire. La société peut-elle accepter que l'on fasse ce que l'on pense ?

Le troisième Ohne n'utilise que sujets pronominaux et verbes. Il y a un sujet. Il y a le monde. Mais pas de prises de l'un sur l'autre. Le silence se creuse au milieu des deux entités autonomes. Laquelle des deux aura le dessus ? La plus grosse. Ohne disparaît quasiment. Ohne doit disparaître. Il n'a pas de place pour vivre en toute indépendance. La société intègre ou élimine. Il faut être quelque chose de proche de l'homme normal. L'homme normal socialise. Celui qui ne socialise pas, qui tend à l'autonomie, doit être éliminé.

Dominique Wittorski à propos du Prix Collidram

J’ai écrit Ohne à la suite d‘une commande de France Culture... Et lorsque France Culture a reçu le texte, ils l’ont trouvé d‘un niveau qui valait la peine, comme on dit. Exigeant comme il faut, drôle comme c‘est plutôt rare... en quelque sorte. J‘étais comblé : France Culture avait trouvé Ohne à la hauteur de l‘exigence de son antenne, pour une dramatique diffusée à 20h30 ! Et voilà qu‘aujourd‘hui, ce sont les collégiens qui distinguent Ohne parmi cinq textes. Ils ont trouvé le texte à leur aune. Une langue qui leur parle, une réflexion sur l‘exclusion qui leur ressemble. Merci à eux.

Merci pour ce geste qui ressemble au grand écart : à gauche France Culture et à droite les collégiens. Et puis non ! Il n‘y a aucun grand écart justement. Il y a ce 31 mai 2007, et cette évidence que nul ne devrait jamais plus remettre en cause : il n‘y a pas de fossé entre la culture exigeante et la soif des collégiens. Il n‘y a pas de chose qui soit hors de portée. Je suis fier de recevoir ce prix de ces collégiens (de ZEP dites-moi !), et ils peuvent être fiers d‘eux : ils ont démontré qu‘elle n‘existe pas cette jeunesse dont on nous rebat les oreilles, qui ne sait plus lire, qui est paresseuse, qui glisse vers l‘éternelle facilité, vers le consommable, vers le vide... Une jeunesse au cerveau qui ne penserait pas... Il y aura, pour moi, le 31 mai. Et plus personne ne pourra dire, comme on l‘a entendu et lu sous la plume des “ penseurs d‘aujourd‘hui “ : “ leur façon de parler, c‘est le problème, ils démontrent leur incapacité à penser “. Ohne parle de cela tout au long du texte, et tente de le battre en brèche avec humour et férocité. Les collégiens l‘ont bien lu... eux qui savent exactement de quoi ça parle dans leur vie de tous les jours.

Merci vraiment. Voilà le monde qu‘on divise quotidiennement, voilà le monde où l‘on monte les uns contre les autres, les compétents contre les incompétents, les travailleurs contre les paresseux, ... voilà ce monde obligé de se réunir : des collégiens et France Culture aiment la même chose ! Et grâce à ce prix, les collégiens peuvent le faire savoir. Ah ! si la médiatisation pouvait être aussi intense que quand une voiture brûle...   Rêvons d‘un rouleau compresseur médiatique qui dirait “ les zep ont soif de France Culture “ !

La genèse de l'écriture

L'histoire et la langue de "Ohne" m'ont été inspirées par quelques images vues à la télévision lors de la campagne des Présidentielles de 1995.

C'était le dimanche soir, déjà la France savait que Chirac avait gagné. Les motos poursuivaient la CX présidentielle, et, TF1 et France 2 rivalisaient d'ingéniosité perverse pour nous abreuver d'images inédites de la victoire. Dans les rues de Paris, on assistait à un spectacle digne des meilleures (des pires?) fins de match de football ("On a gagné"…), images miroirs de la démocratie médiatique.
La course à la vachette était entrecoupée de mini-reportage, d'enquêtes coup-de-poing, de sondages minutes…

Des journalistes de France 2 investissaient les cages d'escalier des immeubles, sonnaient aux portes et sondaient express : "Pour qui avez-vous voté ? Et pourquoi ce choix ?". Questions moult fois répétées à de nombreuses portes…

L'un de ces journalistes nous emmène dans un HLM de Mantes-la-Jolie. Un quartier sensible. Cage d'escalier peu accueillante. Sonnette. On pénètre dans un F2. Un couple avec un enfant. Sans travail tous les deux. Français tous les deux. Autour des trente ans. Dans la pièce principale, un canapé de chez pas cher, face à la télé posée sur le meuble-télé du même fournisseur. Monsieur a voté Le Pen au premier tour. Madame aussi. Une aubaine pour le journaliste. Et qu'ont-ils voté au second ? Monsieur a voté Chirac. Et madame ? Madame n'y est pas allé. Ça s'appelle abstention, ce n'est pas le mot qu'elle emploie.

Alors le journaliste interroge. D'abord monsieur. Pourquoi ? Et monsieur s'explique. Rien de surprenant. Les arguments habituels. Pas de boulot… insécurité… tous pourris… etc.

Puis le journaliste se tourne vers madame. (J'aimerais retrouver la séquence) Et elle s'explique à son tour. Le discours est plus dur que celui de son mari. Plus agressif. Plus désespéré. Ce qu'elle a dit, tout le monde l'a compris. Mais dans ses phrases aux idées très courtes, pas de verbes conjugués. Elle a parlé. On a compris. Mais son français, sa langue, langue maternelle, est très approximatif. Pourtant, il n'y a pas de problème pour suivre ce qu'elle dit. Evidemment, au niveau de la pensée…

Et voilà que surgit l'idée : au bout de tant d'années à avoir voulu changer le monde, il existe encore aujourd'hui des gens (nombreux) qui ont tant de mal à dire, qui ont tant de mal avec les mots !!! Voilà où se trouve l'échec du perdant et de son camp. "Changer la vie", quel beau slogan. Mais une frange de la population, de plus en plus exclue, n'a même pas les moyens de dire, donc de construire une pensée sur ce qui leur arrive. Donc la pensée la plus simpliste s'impose. Pourquoi cette jeune femme n'a pas de mots, et quels en sont les conséquences ?

C'est aux Présidentielles suivantes, devant l'inanité des propos tenus, que "Ohne" est sorti de ma plume.  Un Ohne bien français, handicapé des mots, seulement des mots. De manière radicale, pour voir ce que cela signifie, ce que cela engendre. Trois Ohne, qui représentent l'ensemble des exclus, non par description réaliste, mais par universalité des clowns tragiques.

Extraits

Dans cette section vous trouverez un extrait vidéo et un extrait audio de Ohne.

A la suite de quoi, vous pourrez trouver trois extraits à lire, piochés successivement dans Ohne S, Ohne V, et Ohne W, qui sont les trois volets de la trilogie.
Ces extraits pourront vous donner à voir comment la langue de Ohne évolue d'un tableau à l'autre.
Bonne lecture.

Un extrait vidéo du spectacle.

Il s'agit d'un court extrait enregistré "brut de décoffrage" lors d'une représentation à Charleville-Mezières, au TCM, en novembre 2017. Ce moment se trouve au milieu de Ohne S. (premier tableau de la trilogie). Vous y retrouverez Dominique Wittorski dans Ohne et Alexandre Aflalo comme employé de l'ANPE.  Vous en trouverez le dialogue repris ci-dessous.

Un extrait audio.

Il s'agit d'un extrait de la création radiophonique réalisée par Jean-Mathieu Zahnd, en 2002, pour France Culture. Vous reconnaîtrez la voix de Bernard Bouillon, dans un extrait de Ohne V. (deuxième tableau de la trilogie).

Extraits à lire.

Ohne est publié aux Editions Actes Sud-Papiers.

Ohne S.

.../...
OHNE — Pouvez dire c’quo pensez tous : si suis là, est parc’quo n’ai pas fait d’études. Est ça, la faute à la base : n’a pas fait d’études… Donc : est là !
L'EMPLOYE — Non. Je ne… Ça n’est pas… Mon avis là-dessus n’importe pas…
OHNE — Si si. Si suis là, est parc’quo n’ai pas fait d’études. Est la pensée commune, non ? Peux vous dire ma pensée ? Est l’contraire : si n’ai pas fait d’études, est parc’qu’étais là… Pas eu l’choix. Est pensable pour vous, quo tout l’monde a pas l’choix ? Gagnais pas grand chose. Aurais volontiers été orienté vers autro chose…
L'EMPLOYE — Nous en viendrons aux formations.
OHNE — Pourrai pas faire d’formation.
L'EMPLOYE — Il faudra probablement passer par un premier stade. Rétablir certaines lacunes. Remettre à niveau… Il est clair que votre façon de parler équivaut à… à un délit de faciès…
OHNE — Quelle importance pour tondro l’herbe ?
L'EMPLOYE — Je suis bien d’accord. Mais avant d’arriver devant la tondeuse, vous devrez passer devant l’employeur… Et aujourd’hui, l’employeur veut des prix nobels à tous les postes. Au moins l’air d’un prix nobel.
OHNE — Suis pas un con… suis pauvre.
L'EMPLOYE — Il ne faut pas en faire une fatalité. Et ce qui est important, c’est de ne pas le paraître. C’est éviter le délit de faciès…
OHNE — … de sale gueule. Voyez l’mépris ?
L'EMPLOYE — C’est un constat de réalité. Du réalisme pragmatique. Pas de mépris là-dedans, au contraire, au contraire, de la …
OHNE — … d’la condescendance. ‘xactoment. Est pareil. Question de classe sociale. Les autres pauvres rogardent avec mépris. Lo r’gard du pauvre sur l’pauvre est comme ça, comme lo r’gard du matin dans la glace. Dégoût ou mépris. Les gens aisés peuvent so payer des sentiments plus luxueux. La condescendance est l’mépris des riches. Habillé d’étoffes plus charitables.
L'EMPLOYE — Vous n’êtes pas pauvre. Vous êtes d’extraction populaire.
OHNE — No suis pas pauvre ? Suis populaire ? Est possible d’faire la différence ? Ah oui ! Populaire, est positif. Comme football. Comme jeux olympiques. Sont populaires. Pas pauvres. Football… est pas pauvre quand même… Peut pas dire ça… Comment distinguer populaire et pauvre ? … Est la question du beurre.
L'EMPLOYE — Du beurre ?
OHNE — Ah ! Vois bien quo surprends profondément. Jamais penser la question du beurre ? Vais to dire. Chez l’pauvre, pas d’beurrier. Rigole pas. Différence fondamentale. Pas d’beurrier. Beurre reste dans l’papier. Savais pas ? Si. Et à force, l’papier d’vient gras, sale, crové et collant. Ah oui ! oubliais ! Existe beaucoup d’pauvres, la plupart, qui mangent pas d’beurre… D’la margarine. Parfois même pas, la minarine, ou c’truc là… Enfin, même avec la margarine, théorie s’vérifie : reste toujours la feuille aluminium sur la barquette. Soulève un coin d’la feuille aluminium, glisse l’couteau, ropousse l’aluminium, qui, potit-à-p’tit, comme papier du beurre, dovient gras, crové, ranci, ignoble.
L'EMPLOYE — Ecoutez, je ne crois pas que tout ceci…
OHNE — Et parfois même, un ch’veu colle dans l’gras. Lo ch’veu r’trouve son frère dans l’gras. L’pauvre jette pas l’aluminium d’la barquette, l’pauvre a pas d’beurrier. Quoi ? Suis plein d’mépris ? Mais, suis pauvre. Est moi quo méprise. A cause d’vos mots : populaire. Populaire, est seul’ment un pauvre qui a un beurrier, qui a pas d’cheveu dans l’gras. Est là, ‘xactoment, le délit d’sale gueule. L’pauvre avec beurrier, vu des gens d’en-haut, d’l’humanité supérieure, est du bon pauvre qui so soigne, qui délit–de–sale–gueule pas.
L'EMPLOYE — Excusez-moi une minute, je reviens tout de suite.
.../...

Ohne V.

.../...
L'EMPLOYE — (…) vous demande le dernier endroit où vous avez travaillé !
OHNE — A l’hôpital.
L'EMPLOYE — Quel hôpital ?
OHNE — Celui en bas de chez moi.
L'EMPLOYE — Quelle adresse ? Qu’est-ce que vous faites ? Où allez-vous ? Restez assis, s’il vous plaît.
OHNE — Besoin du corps.
L'EMPLOYE — Ecoutez, je veux bien donner de mon temps, faire preuve de bonne volonté, mais vite, mettez-y du vôtre aussi… Je ne compte pas y passer la nuit.
OHNE — Besoin du corps !
L'EMPLOYE — Bon, allez-y.
OHNE (simulant le déplacement) — Porte. Gauche. Gauche. Tout droit. Pas cent pas. Droite. Porte. Là.
L'EMPLOYE — Qu’est-ce que vous faites ?
OHNE — L’hôpital !
L'EMPLOYE — Pardon ?
OHNE — Porte. Gauche gauche…
L'EMPLOYE — Les toilettes sont juste derrière vous.
OHNE — Les toilettes ?
L'EMPLOYE — Oui, les toilettes… Vos besoins du corps… Ça s’appelle les toilettes.
OHNE — Besoin. Pas urée. Pas miction. Ma mémoire dans mon corps. Besoin de mon corps, ma mémoire dans les jambes, mon corps debout, la jambe devant, la jambe derrière, et la main ici, moi, les yeux fermés, et chaque geste, hop, tout le voyage, tout le parcours. Dans mon oreille : le clac des talons sur le trottoir. Et vous : le chemin de l’hôpital sous vos yeux…
L'EMPLOYE — Hein ?
OHNE — Porte. Gauche. Gauche. Tout droit. Pas cent pas. Droite. Porte. Là.
L'EMPLOYE — Porte. Gauche. Gauche… Vous ne m'aidez pas beaucoup, là. Le nom de l'hôpital, c'est plus simple.
OHNE — ... Hôpital ... Aah... Hôpital… Mémoire des jambes, pas mémoire de l’œil… Hôpital de l'assistance... Hôpital de Paris...
L'EMPLOYE — Vous n’avez rien de plus précis ? A part la mémoire des jambes et la mémoire de l’œil, vous n’avez pas un peu de mémoire du cerveau ?
OHNE — Gauche, gauche. Et tout droit.
L'EMPLOYE — Gauche-gauche d'où, d'ici ?
OHNE — De chez moi.
L'EMPLOYE — Gauche-gauche de chez vous ! Alors ça ! Gauche-gauche, c’est pas un nom… Vous avez une feuille de paie ?
OHNE — Non.
L'EMPLOYE — Pourquoi vous n'avez pas de feuilles de paie ?
OHNE — ...
L'EMPLOYE — Il faut les conserver toute sa vie, les feuilles de paie (il s’adresse à Ohne) Ne bougez pas, je reviens. Ne bougez pas. (la chaise grince horriblement) Ou plutôt si, bougez, bougez, allez-y, pendant que je n’y suis pas. Et ensuite, on se rassied, et on continue sans bouger.
.../...

Ohne W.

.../...
L'EMPLOYE — La situation, mademoiselle, est celle-ci : à moins de 26 ans, vous avez les emplois jeunes ; à plus de 52, vous avez la pré-retraite. Entre les deux, eh bien, entre les deux, ma foi, vous avez vingt-six années durant lesquelles vous pouvez faire des formations-reclassements… de trois mois… 104 formations-reclassements de trois mois, par exemple…
Ohne interrompt à nouveau brutalement.
OHNE — Je vide ! Je peux vider ?
L'EMPLOYE — Pardon ?
OHNE — Je m’excuse. Pardonnez.
L'EMPLOYE — Je vous en prie. Attendez votre tour !
OHNE — Je voudrais vider !
L'EMPLOYE — Pardon ?
OHNE — Vider !
L'EMPLOYE — Vider ? Vous voulez vider ?
OHNE — Je vide. J’évacue. J’enlève.
L'EMPLOYE — Qu’est-ce que vous voulez vider ?
OHNE — Vous fumez ?
L'EMPLOYE — Non.
OHNE — Allez ! Fumez !
L'EMPLOYE — Je ne fume pas. Et c'est un lieu public : il est interdit d’y fumer.
OHNE — Je viderai.
L'EMPLOYE — Ce n’est pas le problème : interdit de fumer, c’est interdit de fumer.
OHNE — Jetez !
L'EMPLOYE — Hein ?
OHNE — Jetez. Jetez… Allez ! Vous avez jeté ?
L'EMPLOYE — Si j’ai jeté ? Bien sûr, oui, qui n’a jamais jeté ?
OHNE — Jetez, je vide. Je vide, je balaye, je nettoie, j’arrache, je brosse, je ramasse. Je sais faire.
L'EMPLOYE — Personne n'en doute, monsieur… Mais pour l'heure…
OHNE — Je cherche… travailler, je suis assis. Vous voyez : je cherche travailler, je suis assis.
L'EMPLOYE — Si la position assise vous pose un problème, marchez !
OHNE — Regardez : qui marche ? Lui, assis. Lui, assis. Elle, assise. Tous assis. Moi ? Moi, je vais
marcher ? Marcher où ? A quoi sert de marcher ? Marcher, c’est marcher. Je cherche travailler ! Il faut servir, non ? Quand je marche, lui, il me regarde, elle, elle soupire. Alors que si je travaille, qui dit ? Qui va dire ? Qui oserait ! ? Je travaille, voilà ! (Donc, très bien) j’attends, je surveille, (mais) je veux vider, brosser, nettoyer, ramasser… parce que, sans ça, ça ne veut pas vouloir arrêter de tourner.
L'EMPLOYE — Je vous en prie. Mettez-vous un peu à l'écart.
OHNE — Ça tourne, vous comprenez ? Ça veut vouloir tourner. (Et moi,) je ne veux pas. Je pense, je pense, je pense… Plus je pense, plus ça tourne. Je dois bouger, sinon je pense. Parce que, qu’est-ce que je pense ? Je l’ignore ! Je cherche ce que je pense. Plus je le cherche, moins je le sais. (Donc, surtout,) ne pas penser. Bouger. (Mais là,) est-ce que je bouge ? (Non, là,) je surveille, je surveille. Surveiller, ça n’empêche pas de penser. Quand je surveille, j’entends qu’ils soupirent parce que je pense, que ça tourne. Vous comprenez ?
L'EMPLOYE — Non, rien !
OHNE — Ecoutez ! Je pense, je réfléchis. Je ne suis pas fait… réfléchir… M’activer, manipuler, transpirer. (Mais ici,) je ne manipule rien. Je tourne autour de ce que je pense, qui n’est rien. Faites-moi transpirer.
L'EMPLOYE — (dans une lueur de compréhension) Ah ! (sincèrement ennuyé) Je ne sais pas ce que je peux vous proposer pour vous éviter de penser.
OHNE — Voilà ! Devoir éviter de penser.
L'EMPLOYE — C’est sûr que c’est angoissant.
OHNE — C’est !
L'EMPLOYE — Ça nous pend tous au nez. Je ne le souhaite à personne…
OHNE — Ça pend !
L'EMPLOYE — Surveillez le cadran… et… et… mâchez du chewing-gum !
.../...
 

Presse

Vous trouverez ici quelques articles parus lors de lectures ou de rencontres particulières autour de "Ohne", et des interviews parues lors de la promotion du spectacle. Pour les articles de presse qui traitent plus précisément du spectacle lors de sa création et de la tournée, allez lire sur le site de La Question du Beurre.

Des extraits :

« Le texte n’est pas que très drôle (hilarant), il est également intelligent et incisif »
« Les trois parties de la pièce comportent suffisamment de variantes pour ne pas tomber dans le répétitif. L’ironie, la surprise et la drôlerie maintiennent notre intérêt durant tout le spectacle »
Planète Québec
« Ohne incarne toutes les différences et il passe pour un con, parce que le con est toujours différent, et que le différent est forcément un peu con »
Vers l'Avenir
« Une oeuvre noire, lucide mais où l'humour domine pourtant et qui livre une réflexion sur le système social »
Le Midi Libre

Et les articles in extenso

Une interview réalisée par Arnaud Boucomont, pour le Midi Libre, parue le 7 février 2005

Une interview réalisée par Ariane Bilteryst, pour Vers L'Avenir, le 23 février 2005

L'article consacré à une lecture de "Ohne" au Théâtre du Trident à Québec, paru sur Planète Québec

Ohne****
Le Lundi le 11 octobre, 2004

« Suis pas un con, suis pauvre » déclare Ohne sans utiliser de sujet. Dans cette première partie, jamais il ne dit « je » ni « moi ». Ohne s’absente de sa propre vie. Il éprouve une difficulté de langage qui l’empêche de communiquer adéquatement avec le monde; et qui occasionne maints imbroglios et incompréhensions quand il se présente à l’Agence nationale pour l’emploi… L’employé qui le reçoit en entendra décidément de toutes les couleurs – et réagira de mille et une manières. « Penser l’autre con est racisme », dit-il encore, comme si besoin était d’une preuve supplémentaire à sa première allégation…

Dans un deuxième temps – deuxième jour d’attente dans le bureau de l’ANPE – Ohne parle cette fois… sans verbes! Le monde s’absenterait-il à son tour de lui? Enfin, dans une troisième tentative pour obtenir un emploi, il s’exprime avec des verbes seulement. Cette fois, on dirait bien que ni lui ni le monde n’ont de prise l’un sur l’autre.

Le personnage de la mère (Érika Gagnon), qui intervient à la fin de chaque épisode pour tenter de sauver in extremis une situation de plus en plus désespérée, dira : « Pour travailler, moins t’as d’opinions, plus t’es apprécié. » Le texte n’est pas que très drôle (Sylvio Manuel Arriola en triple employé est hilarant!); il est également intelligent et incisif. Durant l’échange suivant cette première lecture des Lundis du Trident, Jonathan Gagnon, qui incarnait Ohne, nous a parlé de la difficulté (qu’il a merveilleusement surmontée, croyez-moi!) à s’exprimer par phrases ainsi tronquées d’éléments si habituels au langage « normal ».

Le jeune auteur bruxellois Dominique Wittorski se sert du personnage de la mère pour nous offrir quelques statistiques sur les difficultés d’expression d’un nombre important de personnes – effarant! Il l’utilise encore pour souligner l’inaptitude du système à traiter les cas particuliers. La mère dit par exemple du fameux formulaire bleu si difficile à remplir que c’est à l’employé qu’il procure du travail, non à son fils… Les trois parties de la pièce proposées comportent suffisamment de variantes pour ne pas tomber dans le répétitif. L’ironie, la surprise et la drôlerie maintiennent au contraire notre intérêt durant toute l’heure et demie du spectacle.

Véronique Côté, responsable de la mise en lecture, nous a fait remarquer combien cette difficulté langagière a tendance à se répandre, avec la manière dont nos adolescents clavardent maintenant sur le Net. Un spectateur a rapporté cette intéressante réflexion d’un philosophe dont j’oublie le nom : l’homme s’est trompé en inventant le langage – si lent et souvent inadéquat – pour traduire une pensée rapide et subtile. Peut-être devrions-nous cesser de parler et nous tourner vers une autre forme de communication plus satisfaisante, moins frustrante…

L’auteur nous offre ici tout un exercice de style, véhiculant qui plus est un message social d’une grande richesse. L’une de ses notes accompagnant le texte disait : « La société intègre ou élimine »…

On doit également à Dominique Wittorski des courts métrages (Bosna Airlines — Vol 8487, Correspondances). Au théâtre, il a écrit une dizaine de pièces, dont Vermeer, beau bleu, qui a remporté en 2000 le Prix de l'Union des artistes de Bruxelles. Comédienne, metteure en scène et directrice artistique du Théâtre [mo], Véronique Côté a reçu le Masque de la révélation pour sa mise en scène de la pièce Une année sans été lors de la Soirée des masques 2004.

Les billets sont en vente à la billetterie du Grand Théâtre de Québec au coût de 2 $ pour les abonnés et les étudiants et de 6 $ pour le grand public. De l’excellent théâtre, à bon compte! Les Lundis du Trident sont présentés à la salle Octave-Crémazie à 20 h, en collaboration avec le Grand Théâtre de Québec. Les prochains auront lieu les 22 novembre, 14 mars et 25 avril.

Planète Québec
http://planete.qc.ca/culture/vie/adulte/adulte-11102004-79863.html